Imitant le nu académique la photographie copie les poses héroïques de la peinture: elle privilégie le modèle seul et les clichés de couple ou de groupe sont assez rares (avant la spécialisation dans le domaine de la pornographie, qui relève de l'interdit. On s'intéresse ici à ce "juste-milieu" hypocrite qui caractérise la peinture académique, un nu tolérable qui flirte avec les frontières de l'érotisme) : voici quelques photographies de modèles de la collection Roger Viollet qui n'ont pas la célébrité qu'ils méritent et présentent l'intérêt supplémentaire, pour la plupart de constituer des séries. Ni les photographes, ni les modèles ni la destination n'est généralement identifiée:
On laissera le commentaire (décalé mais à en croire le titre de son recueil Chairs profanes, participant de la même entreprise de portraits à la limite du salace) à Ernest Raynaud, (1864-1936) poète totalement oublié de l'école romane (Morréas, Maurras, La Tailhède etc) qui fut aussi à ses heures perdues commissaire de police et laissa des ouvrages de souvenirs intitulés La vie intime des commissariats ou La Police des Moeurs.
Trio (dont duo à moustache):
Extraits de Sonnets guerriers dédiés à Paul Verlaine (in Chairs Profanes)
GARDE REPUBLICAIN
Nul n'a son galbe ni son aisance au quartier.
Sur sa tunique d'un bleu sombre où se marie
la pourpre à la blancheur de la buffleterie
Ses aiguillettes font sonner leur cuivre altier.
Le sabre à pommeau roux met des lueurs d'acier
Le long du pantalon qu'il a l'affèterie
De faire mieux qu'aucun maître en galanterie
Tomber, à plis déliquescents, sur le soulier.
Et c'est pourquoi part toute rue où son pas sonne
Il va, plus orgueilleux, à bon droit, que personne,
Doux cœur volage à qui fait signe l'imprévu.
Le chapeau fier de sa cocarde sur l'oreille
En la désinvolture aimable et non pareille
D'un galant qui sait, quand il passe qu'il est vu.
DRAGON
Très fier du bruit de ferraille qu'aux environs
Fait le sabre qu'il traîne en sa marche pesante,
Par ce soir de lueur indécise, il arpente
L'esplanade où le gaz luit sous les brouillards blonds.
La mine, aux fantassins qu'il rencontre, insolente,
Il va, toujours son bruit de ferraille aux talons.
Mais d'une allure très incertaine, un peu lente,
Vague, dès qu'il se sent suivi de regards longs.
Lors, ses yeux que le casque estompe d'ombres molles
Ont des clignements malicieux aux paroles
Que lui murmure une ombre en jupes qui le suit.
Et comme il n'eut jamais de scupules sévères,
Dans un estaminet louche où l'on boit la nuit,
Très aimable, il se laisse offrir de petits verres.
GARDIEN DE LA PAIX
Les bottes dont le cuir reflète un jour changeant
Et le képi -par la façon dont il s'incline-
Timbré de l'écusson de la Ville en argent,
Achèvent l'orgueilleux prestige de sa mine.
De tout cet attirail martial qui le rend
Si rogue, un détail seul malvenu le chagrine,
C'est de voir qu'à sa pèlerine se dandine
Un numéro qu'il eût voulu moins apparent.
Somme toute avec tout l'argent qui le plastronne,
L'uniforme avantage assez bien sa personne,
Grâce à lui que de cœurs n'a-t-il pas subjugués!
Coqueluche et terreur d'infimes hétaïres,
Quand vient l'heure de sa tournée le long des quais
Son temps se passe à la cueillette des sourires.
Les temps ont donc bien changé: mais parmi ces modèles d'atelier, certains physiques sont restés contemporains:
Ernest Raynaud, extraits cette fois-ci de La tour d'ivoire, parmi une série de sonnets intitulés A Falguière:
LE RETOUR DE JASON
C'est Jason qui revient en superbe équipage,
Un trophée agité le proclame vainqueur,
Un regard énergique, à travers son visage,
S'allume pour témoin de sa mâle vigueur.
Sa renommée au loin sonne comme un rivage,
La Jeunesse et l'Amour le précèdent de fleurs.
Armant pour lui la trompe aux brutales clameurs,
La Gloire sur sa tête, ébranle son plumage.
Il vient, pareil aux dieux que l'on figure nus,
Ses genoux sont de rose et ses membres charnus
Sont d'ivoire et son torse est pétri de lumière,
La toisin secouée étincelle à son bras,
Et sur l'or de son casque, à la rouge crinière,
Une aigrette remue à chacun de ses pas.
Voici enfin un modèle particulièrement marquant, par l'étrange lumière de ses yeux clairs, mais aussi par la curieuse mise en scène qui le représente d'abord, non pas nu, mais le pantalon de velours côtelé ouvert, comme si on l'avait déshabillé par surprise:
LE MODELE (Ernest Raynaud toujours)
Jeune il fut sur la toile Alexis le berger,
Hylas, au sein des eaux plongeant la lourde amphore,
Aristée aux cheveux couronnés d'épis d'or,
Tircis d'un bruit de flûte emplissant le verger.
Puis il fut le bouillant Achille aux pieds légers,
Sous le casque à la rouge aigrette, effroi d'Hector,
Thésée, à la crinière empoignant le Centaure,
Jason riche au retour d'un bel or étranger.
En mille endroits royaux sa belle image trône,
Mirée à l'infini dans les miroirs profonds,
Sur la nue assemblée au milieu des plafonds.
Maintenant inutile et réduit à l’aumône,
De porte en porte il quête un pain noir, oublieux
D'avoir été vivant ceint du laurier des dieux.
Koch et Rieth Der Act?
Tandis que d'autres nous ramènent au domaine de la lutte
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