dimanche, juillet 24, 2011

Je me souviens (from the Wrestlers'archive)


A final banquet


No use trying to translate : this is something like The party’s over, never again, nevermore. This is the story of my life. I know all the lines in the scenario, yet I know how not to let it happen. Through frustration I build memories of charming encounters that never met with any reality, silent movies, fading pictures of pale winter sunsets.



Ce ne serait jamais que des rencontres brèves. Le mot est déjà fort. Des signes de loin alors qu’on s’éloigne de la côte.

Pas de langage commun, des gestes, mais le langage du corps  aussi une langue étrangère.



Irrationnel, le moment de se rejoindre :  il n’y a pas de désir, je suis trop vieux et lui ne suscite pas non plus la moindre envie en moi, pas assez abîmé, trop détaché, trop innocent, inconscient du charme que dégage son élégance candide.



Le véritable atout c’est qu’il se prête, par curiosité, à l’intérêt peu sûr du voyeur lassé, qui le regarde faute de mieux, alors qu’aucun contact ne s’est lié, même par défi dans la provocation et le rejet. Tatoué sur l’omoplate, il n’y a que la tête de boxer qui montre les dents. 



De devant, il est toujours au bord du sourire. Il y a ce regard par en-dessous, permanente interrogation, sans ironie, l’impression qu’il n’est nulle part chez lui, partout à l’aise, faisant de tout endroit traversé un territoire, et déjà prêt à s’en défendre. I didn’t know. No trepassing.




Dans leur sac, des paires de chaussettes sous plastique et des slips neufs, car c’est l’essentiel de leur tenue en plus du survêtement usé. 



La plupart de leur temps, même sur les sièges des tribunes, se passe à demi-nu, un slip de bain sous le maillot de combat trop large, qu’ils s’échangent s’ils n’ont pas prévu la bonne couleur.
Je regarde les photos de la compétition. Il n’apparaît sur aucune. Il a dû perdre au premier tour et je ne l’ai même pas vu combattre. J’ai raté la matinée officielle. Je ne l’ai aperçu en tenue que dans les couloirs de l’hôtel, noyé entre les entraîneurs dans le brouhaha des couloirs. Je discute avec les américains qui se sont prêtés facilement au jeu des photos à l’entraînement du matin, toujours en démonstration, conscient de chaque pose pour apparaître toujours à leur avantage. J’échange quelques plaisanteries pour me donner une raison de me trouver là, l’appareil à la main, pour éviter de me retourner alors que je sens dans mon dos la présence de Miroslav, caché au fond du couloir entre deux de ses co-équipiers.


Le gars à la tête années 50 de vendeur de bagnoles porte encore son T-shirt « Penn state ». Je baragouine une question idiote sur sa ville d’origine et lui fait répéter la devise : « Pennsylvania, where men are real men, and women are too »…



Au moment propice je me retournerai une seule fois, pointant mon téléobjectif entre les jambes des officiels qui font écran entre Miroslav et moi. 


Ensuite, je descendrai quelques marches pour tenter de saisir, de côté, le galbe de son corps fin, la parenthèse de fourrure que dessinent ses cuisses. 

 
Un demi-sourire au bord des lèvres, il fera semblant de ne pas me voir dans la mêlée des garçons qui remontent de la pesée au petit trot, gravissant quatre à quatre les marches de l’escalier de l’hôtel, se lançant d’un palier à l’autre des serviettes et des tenues roulées en boules. Il ne regardera que droit devant lui, afin qu’aucun de nous deux ne soit gêné, et que je puisse m’enfuir, assourdi par le bruit de mon cœur qui bat dans mes oreilles, rouge de la chaleur de troupeau que dégage la marée humaine. 

 
Le lendemain, je ne le verrai pas déambuler autour des tapis. Il est ailleurs, en vacances dans la ville des vacanciers, et je travaille à fabriquer d’autres souvenirs.
Le soir du banquet il n’est pas dans le bus qui me monte vers le restaurant dans la montagne. Chance, c’est Sam, l’autre coup de cœur de l’année qui s’assoie sur le siège laissé vide à côté. Sa fiancée est de l’autre côté du couloir. Je propose de lui laisser la place, il décline, et dit quelque chose du style « I see her all the time » collant contre ma jambe sa cuisse épaisse que contient mal son pantalon crème à pinces. 



Je ne vois pas Miroslav avant la fin du banquet, je ne sais pas avec qui il monté. Tout le monde est un peu ivre. 

 
Comme toujours les russes font tourner la vodka de contrebande. Les lumières sont tamisées, la boule à facettes est descendue du plafond, la sono a remplacé le gratteur de guitare qui accompagnait les chants traditionnels des fins de partie. Les quelques femmes sont rentrées coucher leurs enfants en bas-âge. Peu se décident à se lancer seuls sur la piste de danse. 


Si à l’aise lorsqu’ils combattent avec leurs brusques sursauts de chats, les lutteurs sont raides et empruntés quand il s’agit de suivre la musique.  Ils tressaillent de tout leur poids comme parcourus de décharges électriques, ils boxent le vide, patauds, gênés par la musculature de leurs bras imposants et l’épaisseur de leur carrure. 


Miroslav s’est lancé dans une improvisation légère, et les derniers danseurs se sont écartés, le laissant virevolter sur la rosace de carreaux qui orne le sol devant la porte à tambour. 


Le monde autour s’est estompé, il brille dans la lumière noire. Il ouvre les bras quand je prends la photo. Je pose mon appareil, il tend la main vers moi, saisit la mienne, me tire vers lui, me fait exécuter quelques passes de rock. J’entends les rires diffus autour de nous à mesure que quelques couples de garçons envahissent la piste.

 
Le dernier bus de location va regagner la ville. On me dit de rester, quelqu’un me ramènera en voiture. Je monte à bord du bus, nous ne sommes que quatre ou cinq à chahuter dans les virages en épingle à cheveux, les deux autres sont ivre-morts et se prennent la tête sur la banquette du fond. Au centre du couloir je lui fais face. Je le ceinture avec mes bras : je le soulève, étonné de sa légèreté et de la finesse de sa taille, mes mains caressent ses côtes et le bas de son dos à travers le tissu mince électrisé du pull ras de cou. J’incline la tête contre son torse. Il ne répond pas plus qu’il ne tente de se dégager. Chacun regagne sa place, aux deux extrémités du bus. Je somnole jusqu’à l’arrivée en ville. Quand j’ouvre un œil, je suis le dernier à descendre. Il fait froid maintenant que s’est tu le silence de la fête. J’erre dans les rues où se trouvent les hôtels fermés, je retrouve avec difficulté ma mobylette pour rentrer chez moi.


continue (suite)

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