dimanche, juillet 24, 2011

Michael Sweerts Le match de lutte


On doit à Sweerts le premier tableau de lutteurs où le prétexte mythologique est complètement absent, en somme, à première vue, la première représentation de la lutte en tant qu'exercice sportif. Cela signifie-t-il qu'il existe dès le 17ème siècle un sport non codifié où des combattants s'opposent non seulement à main nue, mais, si l'on excepte la décence qui oblige le peintre à couvrir le personnage frontal d'un curieux string, nus?


Ce tableau est aussi mystérieux que Sweerts lui-même, dont l'évolution stylistique est telle que les productions qui lui sont attribuées avec le plus de certitude paraissent souvent émaner de mains différentes. Les nombreuses traditions culturelles qu'il a assimilées rendent plus épineux encore le problème de son éducation: on ne sait pas plus qui lui apprit à peindre que le nom des élèves à qui il transmit son savoir. Il est certain qu'il connut une période de gloire, à Rome, peignant des scènes de rues, avant de rentrer aux Pays-Bas où il ouvrit une école. Mais vers 1656, alors qu'il s'était mis à peindre des tableaux religieux, un événement tout aussi inconnu le poussa à se faire membre de la Compagnie de Jésus, et à entreprendre un voyage à travers le moyen-orient -où l'on dit qu'il fut actif également en Syrie,- et qui le mena jusqu'en Chine. Chassé pour des raisons tout aussi obscures de leur troupe par les Jésuites en 1662, il mourut à Goa deux ans plus tard sans être parvenu à regagner l'Europe.

Lors de la première rétrospective qui lui fut consacré en 1956 on le créditait de 36 tableaux: en cinquante ans l'estimation est montée à 90 sans que les trois chef-d’œuvre qui auraient dû assurer son renom aient plus de visibilité qu'il n'en recueillaient à l'époque. Pourtant n'eut-il peint que cette toile-là, il restait matière à disserter longtemps!

Qui a pu commander un pareil tableau? est-ce le genre de peinture qu'on accrochait au 17ème siècle dans son salon?  Et au fait, que représente-t-il? Dans la lumière au premier plan, étant donné sa taille le sujet principal paraît être le jeune homme nu qui se déshabille, et dont le physique ne correspond pas au personnage athlétique qu'on attendrait d'un tableau à sujet "grec".



La lumière tombe principalement sur son postérieur juvénile: on remarque qu'il met un certain empressement à se dévêtir, comme ont du le faire également les autres personnages dont les vêtements (blancs aussi contrairement à ceux des spectateurs principaux, mais ils n'en sont pas à tomber la chemise) sont groupés en tas dans un désordre qui témoigne de la précipitation. Autre détail frappant le jeune homme sans tête -ce qui le fait ressembler à un personnage de supplicié a les pieds sales, ce qui peut passer pour l'indicateur (très clairement mis en avant puisque c'est ce qu'il y a de plus "gros" dans le tableau) d'une condition sociale peu élevée.

A l'opposé, l'autre personnage dynamique est le personnage au manteau orange qui s'enfuit, les mains en avant dans un geste d'effroi. Peut-être est-il chargé de refléter l'opinion du spectateur devant tant de transgression des conventions habituelles de la peinture. Ou bien s'enfuit-il parce qu'il est le prochain adversaire de son pendant gauche déjà presque nu. La panique qui le saisit est-elle seulement due à la vision de quelques homme nus occupés à une activité ludique et violente? La peur qu'il manifeste paraît affecter également au moins un autre spectateur qui s'est retourné dans le giron d'un de ses voisins, lequel pose sur sa tête qu'on devine une main protectrice, regardant vers l'extérieur avec un curieux air connivent: que porte-t-il dans l'autre main? Une pipe? Un carnet d'esquisses peut-être...


A la gauche de ce groupe d'autres spectateurs commentent:: discutent-ils du combat ou d'une autre action, masquée peut-être par les protagonistes principaux. Sur le gradin supérieur un autre couple semble aussi plaisanter avec détachement.


Son attitude contraste avec celle de son voisin, le genou en terre visiblement passionné par l'issue du combat. Ce personnage aurait-il parié sur le vainqueur? Son attitude rappelle celle des soldats jouant aux dés dans une caverne transformée en salle de garde. Pourrait-on induire de cette comparaison que certains des personnages de l'assistance sont des soldats se divertissant aux jeux de personnages d'une condition encore inférieure à la leur, des valets, des bateleurs, des bohémiens?



Le décor des deux tableaux des joueurs présente quelques similitudes avec la mise en scène du tableau des lutteurs. Il semble qu'on ne se trouve ni vraiment à l'intérieur, ni tout à fait à l'extérieur. Où alors? dans une cour d'auberge? devant un cabaret aménagé dans une cavité naturelle? Derrière le public à gauche se trouve un escalier montant à un premier étage formant tribune où ont dû prendre place d'autres spectateurs, invisibles pourtant.

Quant au véritable sujet du tableau, revêt-il une dimension ésotérique, la couleur de peau très différenciée des personnages en font-elles des figures abstraites représentant le bien et le mal (la lutte de Jacob avec l'ange pour en revenir à un thème traditionnel)? tel qu'on le retrouve plus tard suggéré dans le tableau de William Etty (Les lutteurs 1840):



Comme dans l'ensemble de la production de nus de Sweerts les sexes sont cachés dans les représentations frontales: pourtant quelque chose semble pendre entre les jambes du lutteur de gauche.


Ou bien est-ce une illusion et ce qui est caché est-il une part de l'action qui se déroule, dans le fond devant le personnage aux bras levés, ou d'un morceau d'un personnage attablé, puisque on devine à l'arrière plan une scène de cabaret.

La scène principale n’occupe que le tiers gauche du tableau,



mais le plus étrange est peut-être ce qui s'y dissimile, entre les deux sujets principaux, dans le point de fuite de la perspective, l'homme nu attablé -avec de probables partenaires. Vient-il de combattre? attend-il le vainqueur du présent combat pour se remettre à l’œuvre, ou dans quel genre de négociation s'est-il lancé avec d'autres buveurs, à la surprise de l'aubergiste qui lève les bras, et cette partie cachée de la scène ne serait-elle pas l'explication de la fuite du garçon en orange au premier plan...




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