samedi, juillet 21, 2012

Luminais, Mérovingiens et Gaulois

Le nom d'Evariste Vital Luminais est en soi déjà tout un poème. On ne saurait parler de ce peintre sans évoquer son tableau le plus connu, Les énervés de Jumièges, qui évoque un épisode historique légendaire, et qui reproduit par la gravure dans tous les grands dictionnaires du 20ème siècle a intrigué des générations de lecteurs. Ci-dessous la version de Sydney (achetée en 1883 par l'Australie après exposition à Londres).
 
 Le tableau (illustrant l'article "énervés" en son sens premier) représente Les fils de Clovis II qui en 660 se révoltèrent contre leur père parti en pélerinage en terre sainte, et leur mère régente d'origine anglaise. Ledit Clovis revenu précipitamment de terre sainte aurait décidé à l'incitation de sa femme, au lieu de les faire exécuter, de les soumettre à un supplice médiéval qui consistait à brûler les tendons des jambes à l'aide de clous rougis, afin de les priver de toute force. Ils auraient ensuite été confiés au courant à bord d'une barge sans gouvernail et dérivé ainsi sur la Seine jusqu'à Jumièges où Philibert les aurait recueilli, leur apprenant à vivre selon les règles de ma vie monastique. Légende en effet puisque Clovis II mourut relativement jeune sans avoir jamais quitté son royaume et que ses trois fils, Clotaire, Childéric et Thierry lui succédèrent successivement.
Répétition grandeur nature du Musée de Rouen, où brille la flamme de la bougie de la destinée et s'enflamme l'aube de la rédemption


A cee tableau fit couler beaucoup d'encre, en raison peut-être du mystère de l'apaisement des suppliciés, déjà offerts au repos éternel, est consacré le premier poèmes des Déliquescences d'Adoré Floupette (canular littéraire d'Henri Beauclair et Gabriel Vicaire):

    Autour du bateau
    Un remous clapote ;
    La brise tapote
    Son petit manteau,
    Et, lente, très lente
    En sa pâmoison,
    La frêle prison
    Va sur l'eau dolente.
    O Doux énervés,
    Que je vous envie
    Le soupçon de vie
    Que vous conservez !
    Pas de clameur vaine,
    Pas un mouvement !
    Un susurrement
    Qui bruit à peine !
    Vous avez le flou
    Des choses fanées,
    Ames très vannées,
    Allant Dieu sait où !
    Comme sur la grève,
    Le vent des remords,
    Passe, en vos yeux morts,
    Une fleur de rêve !

C'est aussi l'aboutissement de la veine mérovingienne, avant dernier courant du style pompier, qui récupère le goût du décorum et du détail des peintre pompéiens tout en imaginant des costumes fantaisistes plus germaniques orientalisant que médiévaux.
La première idée des Enervés de Jumièges était plus proche du tableau académique ou religieux de martyre: il n'y avait qu'un supplicié et un bourreau, accompagné de figures allégoriques

L'esquisse comportait un serviteur affligé

Luminais reflète parfaitement la construction du mythe de la nation franche par la IIIè république: comme on l'a vu,  Clovis, sujet oublié depuis le 14ème siècle, redevient un des piliers de la représentation picturale au 19è siècle. Le précurseur de cette renaissance est François-Louis Dejuinne (1786-1844), élève de Girodet:

 Dejuinne Clovis Ier et Baptême de Clovis
 Un autre élève de David, Pierre Henri Revoil, peintre français représentatif de ce qu'on a appelé le "style troubadour" donne avec son dernier tableau, terminé après sa mort par Michel Philibert Genod en 1845, Pharamond élevé sur le pavois par les francs l'imagerie définitive du chef (fondateur mythique des dynasties mérovingiennes) porté sur le bouclier:


Ary Scheffer La bataille de Tolbiac



 Le sujet du Baptème de Clovis est brillamment traité par Jules Rigo en 1874



Clovis et du vase de Soissons envahit  la gravure populaire et les manuels d'histoire des années 1880


Même Lawrence Alma-Tadema, dans son style néo-latin n'échappe pas à cette mode des Francs lorsqu'il peint l'éducation des fils de Clovis

 Mais le maître de ces évocations mérovingiennes est assurément Luminais:
 Mort de Chramm

Mort de Chipéric


Exorcisme
Combat de cavaliers francs
 Les mérovingiens
 L'appel du chevalier


Thème auquel se mêlent les Invasions normandes




Evariste Luminais sera suivi à ses débuts par son élève Albert Maignan
Les derniers moments de Clodobert

 Hommage à Clovis II (le père des Enervés de Jumiège)
 
 Maignan évoluera vers un mélange de symbolisme et de pompiérisme, laissant en 1888 ce chef d’œuvre introuvable (musée d'Amiens) que sont Les voix du tocsin



Pour la postérité, Evariste Luminais est surtout connu comme le peintre des Gaules, réputé pour avoir inventé à lui seul les "barbares aux cheveux roux" habillés de braies et de justaucorps, qu'il s'agisse des envahisseurs de Rome (Brennus) ou des guerriers et des plus paisibles chasseurs:
 En vue de Rome
 
Guerriers gaulois surpris à la vue d'une femme noire (salon de 1873)

 L'invasion

  Les captives
 
bataille de Sabis


 Le gaulois blessé
 Les éclaireurs

 Guetteur
Départ pour la chasse

 Départ de chasse
 Retour de chasse

 Gaulois fuyant

Même si la spécialisation est éloquente le thème était évidemment apparu avant Luminais...
Il faut remonté au Baron Gérard pour trouver un des premiers gaulois habillés à la gauloise (ou ce que le 19è siècle imaginait comme tel

 étude et version finale de Courage gaulois

Mais aussi et de façon étonnante considérant l'orientalisme érotique dont il est coûtumier à Théodore Chassériau, élève d'Ingres
Cavalier gaulois
 et la magnifique Défense des Gaules
études pour La défense des Gaules






Malgré le précédent (peu historique) de Jean-Baptiste Peytavin vers 1815
Sacrifice humain chez les gaulois

 mais c'était un récidiviste et que la thématique fût proprement gauloise ne l'intéressait guère comme le montre son Supplice d'une vestale

et dès 1847 le Gaulois et sa fille prisonniers à Rome de Félix-Joseph Barrias



il faut attendre Luminais pour que la mode s'installe:
Jules Didier Soldats à le Roche Salvée
Jules Didier Chef gaulois
Jules Guignet Sentinelle près d'un menhir
 Xénophon Hellouin Scène de funérailles près de la Seine (Gaule préhistorique) 1870


Le personnage de Vercingétorix n'apparait qu'assez tard comme sujet de peinture, et curieusement jamais chez Luminais, alors qu'il est présent dès 1869 chez l'alsacien François Ehrmann et son Vercingétorix exhortant les gaulois avant Alésia


plus héros révolutionnaire que le moustachu des images d'épinal
Jules Bastien-Lepage Tête d'expression dite "Vercingétorix"
tel qu'on le trouve dans le tableau d'Henri-Paul Motte


et plus encore dans le tableau célébrissime de Lionel Royer Vercingétorix se rendant à César (1888)

Evariste Luminais a traité peu de sujets antiques
Les chrétiens de Gaule dans l'arène de Lyon
Il n'a pas toujours évité les sujets contemporains qui nous renseignent sur ses racines dans le style pompier. Après le Duel rappelle Couture et Gérôme

Dans ses tableaux berrichons ou bretons, il peint chasseurs et pêcheurs de la même façon qu'il décrivait ses barbare:
Le sauveteur
 Pêcheur à l'affut

Au plafond de la Bourse, son évocation des Etats-Unis mélange Indiens, esclaves noirs et chemin de fer:



En 1885, Alphonse Cornet (1838-1898), fidèle à la tradition, crée son tableau majeur, se souvenant des apparitions ossianesques de Girodet et d'Ingres, et conforme à l'esthétique du temps qui met en relief les Gaulois vainqueurs des romains comme une métaphore de la défaite de 1870, La prise du temple de Diane, qui correspond à toutes les visions de Sac de Rome  entre 390 et 410 qu’affectionnèrent les Pompiers.




à moins que la pièce maîtresse de sa production ne soit le Défilé des Gueux, (1886) métaphore de la France sous la troisième république qui retrouve le ton des néo-grecs de Jean-Louis Hamon et dérive des panoramas de batailles, la toile faisant six mètres sur un mètre cinquante





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