dimanche, mai 06, 2012

Hercules forains : les Deriaz, le Salon de 1910

C'est aujourd'hui le tableau de Camille Bombois (1930) qui représente le mieux l'image d’Épinal de l'artiste de cirque ou de rue avec ses traditionnelles haltères à boules

Ce type de représentation n'a pas attendu le 20è siècle:
Daumier représente déjà l'Hercule forain (du moins lui attribue-t-on ce dessin de 1808)
En 1889 Henry de Grout, dans un style proche de la caricature livre cette scène de cirque où l'on voit les instruments destinés à rameuter le public:
La peinture naïve et les affichistes s'emparent du sujet

Lagar Arroyo Celso L'haltérophile
 
Revenons aux qualités descriptives d'Ernest Raynaud (in Chairs profanes 1888)

L'HOMME AUX P0IDS

Il jongle, et sa sueur perle par tout son corps
D'athlète, où l'énergie à la souplesse est jointe ;
Sa chevelure, d'où toute essence s'élointe,
S'anime sur son cou qui se gonfle d'efforts. 

Des boules roulent dans ses bras musclés,alors
Qu'il les élève, et les deux seins dressent leur pointe
Sous le maillot, qui très étroitement s'accointe
Au torse, en faisant mieux saillir tous les dehors.

L'élan épanouit la tension robuste
Des cuisses, et ses reins, lorsqu'il remue, ont juste
La souplesse des reins flexibles des félins;

Et tout entier aux poids qu'il jette vers la nue,
Il n'a pas le souci des regards féminins
Dévorant ce qu'il laisse entrevoir de peau nue.


Différentes cartes postales montrent ces animations de rue, transportant la scène au studio
 Texte: Je m'engage à verser deux mille francs comptant à tout amateur qui pourrait en faire autant

La scène se transporte au salon, avec l'apparition de "l'athlète mondain"



Nino, athlète-haltérophile
 
L'album personnel d'Henri Deglane contient plusieurs cartes postales d'Yves le Boulanger, relatant leur rencontre, et comment le champion olympique fut initié à la lutte par l'hercule forain

 
 Ici l'on voit dans sa pratique de rue Le Boulanger sonner de la trompette pour se signaler au public


 Yves Le Boulanger et son élève Barlois


C'est aussi dans la rue qu'eut lieu le premier "record du monde" de Maurice Deriaz:
Dix ans plus tard, en salle:


Les Frères Deriaz

 C'est probablement le jeune Maurice Deriaz qui se cache derrière cette cagoule de catcheur

 

Dans Les Rois de la Force, Desbonnet a écrit à propos de Maurice Deriaz:

Quiconque n'a jamais vu Maurice Deriaz ne peut se faire une idée de la musculature de cet athlète. C'est un Hercule Farnèse dont il est une reproduction vivante avec plus de muscles encore.

Maurice Deriaz, qui est d'une taille ordinaire, paraît aussi large que haut. Il ne dépare pas la collection si imposante des sept frères Deriaz.

La valeur n'attend pas le nombre des années et Maurice Deriaz n'a pas attendu l'âge de vingt ans pour attirer l'attention du public, car à dix-huit ans il se signalait par des exercices de force qu'auraient enviés beaucoup
de professionnels entraînés.

Né à Baulmes, canton de Vaud, Suisse, le 14 avril 1885, Maurice Deriaz, qui est fixé à Paris depuis sa jeunesse, est arrivé à accomplir des prodiges aussi bien aux poids et haltères qu'en lutte gréco-romaine ou
en lutte libre; dans ces trois sports, on peut dire qu'il est passé maître. Maurice Deriaz possède d'ailleurs un tableau de performances qui nous dispenserait de faire l'éloge de ce sympathique athlète...
A bras tendu, il tient sur la main gauche 60 livres, sur la main droite 60 livres et
cela, avec le fameux sourire sur les lèvres.

Cet homme possède un cou d'une puissance sans égale ; c'est ainsi que, couché sur le dos, il se met en pont (la position favorite des lutteurs), saisit une barre de 244 livres qui se trouve près de sa tête, l'aminé à la poitrine et développe ce poids fantastique en restant en pont.
Maurice Deriaz est ici photographié en 1912, deux ans après qu'ait été exposé au salon l'Hercule et Omphale de Gustave Courtois pour lequel il posa (et si le tableau n'est pas excellent, la ressemblance avec le modèle est absolument frappante)
Les critiques de l'époque durent divisés sur la présence de l'homme fort dans le tableau:
Luc Montan, Le Sport et l’Art, L’Inspiration Sportive au Salon, La Culture Physique, No. 132, 1 July 1910, p. 397. "… il serait injuste, pour terminer, de ne pas citer le nom du peintre Gustave Courtois qui, s’il n’a pas précisément traité un sujet athlétique dans la fort belle toile qu’il expose à la Nationale : «Hercule aux pieds d’Omphale», s’est servi du moins pour l’exécution de son sujet d’un modèle tout ce qu’il y a de plus athlétique.Celui qui posa en effet pour l’Hercule de M. Courtois, n’est autre que Maurice Deriaz, le célèbre champion de force et de lutte. Avec un tel modèle dont on a si souvent comparé à juste raison la formidable musculature à celle d’un Hercule Farnèse légèrement réduit, M. Courtois n’avait rien de mieux à faire que de copier. C’est ce qu’il a fait et son Hercule est un admirable portrait, frappant de ressemblance, de Maurice Deriaz au repos.”

Le Figaro, 14 April 1910, P. 3: … enfin l’Hercule aux pieds d’Omphale, de M. Courtois, qui rappelle un peu plus Marseille jeune que Saint Saëns, mais qui ne manquera pas d’attirer l’attention au point que les longs commentaires seraient superflus.

Il est assez difficile de trouver des reproductions en couleur des tableaux de Gustave Courtois, mais voici quelques exemples de son art, qui a quelque chose du kitsch de la "peinture physique" d'un Quaintance:






Le salon de 1910 fut un apogée de la peinture académique de nu masculin, avec les sculptures de Paul Richer (qui fit de nombreuses photographies de sportifs tout en étudiant l'hystérie en compagnie du Dr Charcot)
Richer dans son atelier et ci-dessous le grès de Sèvres du Bûcheron de la forêt de La Londe (à la piscine de Roubaix)
 Richer: le premier artiste
Au même salon de 1910 était présenté l'envoi de Rome de Georges-Paul Leroux, Baigneurs du Tibre:

 le même Leroux donna aussi ce Samson capturé par les Phillistins
ce dessin d'étude dit "Cincinnatus"
et la macabre Les Etudes de la Peinture


 Emile Deriaz


 
posa également pour les artistes, comme on le voit dans cette pose du Faune Barberini de la collection Desbonnet

Adrian Deriaz


sortit des ateliers de peinture pour s'essayer au théâtre 


Jules Deriaz

 Octave Deriaz

Les hercules de rue n'ont pas disparu avec la seconde guerre mondiale, comme on l'entrevoit sur ces photos
de Noël Le Boyer prises en 1940 sur le Boulevard de Clichy


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