mercredi, juin 20, 2012

L'école de David (au début du 19è siècle)



De grands noms

On ne peut tout à fait se priver de mentionner Jean-Baptiste Isabey (1767-1855) qui s’illustra surtout par de nombreuses miniatures, au demeurant charmantes, et quelques remarquables marines pré-impressionnistes. Pour le sujet qui nous intéresse il ne donna pas grand-chose…


 
Il n’en va pas tout à fait de même d’Antoine-Jean, Baron Gros (1771-1835) dont le succès et l’influence furent considérables sur la première génération romantique, Géricault et Delacroix en particulier. Gros avait eu une véritable formation académique, comme le prouve cette Mort de Patrocle


Et de nombreux dessins italiens de ses carnets d’études. Royaliste, il fut pourtant protégé par le Conventionnel et Régicide David qui l’expédia en Italie sous la Terreur en même temps qu’il donnait des brevets de moralité à Vivant-Dénon, futur administrateur du Louvre.

 
Gros, 1791 Sacrifice
 
Il avait été à bonne école (ci-dessous) attribué à son père Jean-Antoine
 

d'après l'antique:


                           

 Le modèle italien (1791) identifié à Bridgi( ?) par les spécialistes et évidemment le premier modèle du Concours de la demi-figure :


 deux prisonniers d'après Rubens

 
 
Acis et Galathée

 
Dans les tableaux les plus connus de la maturité de Gros, il faut chercher les détails, même si c’est certainement l’illusion de mouvement qui fascina ses contemporains :

Détail de l’Embarquement de la Duchesse d’Angoulème à Paulliac
 

Détails des Pestiférés de Jaffa


 Bataille d'Aboukir

Hercule et Antée
d’après l’antique qui évoque le dernier tableau de Gros, Hercule et Diomède, qui suscita des réaction hostiles de la critique et l’indifférence du public. Il est probable qu’en raison de cette réception, Gros sauta d’un pont sur la Seine : retrouvé noyé le 25 juin 1835, il laissait dans son chapeau un message spécifiant que « las de la vie, et trahi par les dernières facultés qui la me rendaient supportable, j’ai résolu de m’en défaire ».


Des orphelins aux toiles inconnues

On aimerait en savoir plus sur les débuts de Marie-Joséphine-Angélique Levol-Mongez (1775-1855) rare élève femme de David, auteur de ces sept contre Thèbes

 
Et d’une vie de Thésée dont on connait la composition par la gravure

De Jacques Christophe Paul Balat (1804-1824), mort à vingt ans qui fut l’élève de Gros à Paris, on ne connait malheureusement pas grand-chose sinon son tableau de concours pour l’académie de Bordeaux, Scythès tendant l’arc de son père.


Parmi les élèves favoris de David, l’un eut un destin curieux : Jacques Topino-Lebrun (1764-1801), partisan et ami de Babeuf, qui peignit La Mort de Caïus Gracchus par allusion à la tentative de suicide de Babeuf lors de sa condamnation à mort par le tribunal révolutionnaire.

Topino fut guillotiné en 1801, compromis dans la Conspiration des poignards, une manipulation policière qui visait à faire croire à une tentative d’assassinat contre Bonaparte. Le témoignage de David ne suffit pas à le sauver. Il laissa un chef-d’œuvre peint dans ses derniers jours, Le siège de Sparte par Pyrrhus qui était un appel à défendre la république.


La composition stupéfiante de ce dernier tableau (pas seulement la disposition des groupes, mais aussi le relais créé dans le décors par les statues du haut et du bas) compense son potentiel inachèvement.

 
Claude-Marie Paul Dubufe (1790-1864)

doit aux encouragements de David la vocation familiale qui décida de sa destinée alors que sa famille souhaitait qu’il fit une carrière politique. Alors qu’il était élève consul, il réussit à changer de métier en survivant grâce à ses dons de violoniste qu’il exerça dans les cafés concerts.

En 1810, alors que Delacroix exposait sa Barque de Dante, il fit une entrée discrète au salon avec un Apollon et Cyparisse


 
En 1832, à Londres, deux tableaux, Adam et Eve et Le paradis perdu furent achetés par des frères du nom de Brette qui les exposèrent sous condition commerciale à travers les Etats-Unis durant trois ans. Ces toiles qu’on crut longtemps perdues réapparurent en 1991 en vente publique, en Suède. Voici les détails des nus :




 
L’atelier de David en 1800


Jean-Henri Cless (1774-1812) dont la carrière s’orienta principalement vers la miniature, fit ce célèbre dessin aujourd’hui au Musée Carnavalet, intitulé Un atelier d’artiste en 1804 et connu sous le surnom d’Atelier de David, pour la raison qu’on y reconnaît un Hector au mur le maître, au fond, en chapeau haut-de-forme, la joue déformée par sa tumeur, comme le peignit Jérôme-Martin Langlois durant son exil bruxellois. 

 
C’est un atelier pacifié que nous montre Cless, pourtant diverses factions l’ont agité pendant le Directoire, parmi lesquelles les Crassons (ainsi nommé par suite d’une plaisanterie de David, toujours fort bien habillé) dont Robin fils devint le chef de file : il préconisait de fumer au moins trois pipes par jour et de ne changer de linge que « lorsqu’il ne tenait plus au corps ». Il s’y trouvait aussi les Mystiques, regroupés autour de Révoil et des peintre de Lyon, mais encore les Muscadins ou Aristocrates (autour d’Auguste de Saint-Aignan qui se recycla dans la politique) et leurs serviteurs les Rapins. Mais les plus remuants d’entre eux, et ceux qui, malgré le peu d’œuvres que l’on connait d’eux (voire aucune si l’on s’en rapporte à la destinée de leur chef de file) devaient avoir une influence considérable sur la peinture académique du premier 19è siècle, étaient regroupés dans la secte des Barbus, aussi dits Primitifs, Méditateurs ou Penseurs.

Le chef de ce groupe était Pierre-Maurice Quays (1779-1803), successivement connu comme Maurice, Don Quichotte, Jésus Christ et Agamemnon parce qu’il avait entrepris de se déplacer en toge tandis que son compagnon Périé s’était fait faire un costume de Pâris.
 
Portrait de Maurice Quays par Riesener

On ne connait de Maurice Quays, mort à 24 ans, aucune œuvre, sinon qu’il fut assez avancé pour servir un temps d’assistant à David sur le tableau des Sabines (et que celui-ci loua ses académies qui doivent donc encore exister, rendues à l’anonymat de musées de province) mais le portrait ci-dessus d’Henri François Riesener.
Autoportrait de Riesener

On insiste dans ses images sur le désordre des coiffures, l’absence de cravates et la trivialité des vêtements. L’image ne semble pas conforme au souvenir de Charles Nodier, qui écrivit :

« Maurice Quay était le plus beau des hommes. La nature avait voulu qu’il fût aussi imposant par ses formes sensibles que par son génie, et comme elle n’arrive à ce point de perfectionnement qu’en expiant son chef-d’œuvre par de grandes compensations, elle ne fit que le montrer. Il disparut avant d’avoir atteint les années viriles… »

Et selon Etienne-jean Delescluze (David, son école et son temps)
« Les fréquentes recommandations que faisait David à ses élèves, de se guider sur les ouvrages de l'art grec, et particulièrement sur ceux du style antérieur à Phidias, avaient porté leurs fruits. Cette idée, reprise en sous-œuvre par une jeunesse fougueuse et inexpérimentée, fut poussée jusqu'à ses plus rigoureuses conséquences, et ces principes exagérés, combinés avec les utopies « humanitaires » que développait Maurice à ses adeptes, ne tardèrent pas à produire une anarchie complète dans l'école de David. Bientôt … il fit entendre à ses cosectaires «qu'il fallai tparler haut et marcher courageusement tête levée; que David avait
commencé le grand œuvre de la réforme de l'art, il est vrai, mais que l'incertitude de son caractère et le peu d'étendue de ses idées l'avaient perdu en politique et ne lui donnaient pas l'énergie nécessaire pour compléter la révolution qu'il fallait achever dans l'art..

Tel était à peu près l'ensemble de la nouvelle théorie. Quant à la pratique, on ne devait viser qu'à exprimer la plus haute beauté; aussi Maurice engageait ses adeptes à ne plus travailler à l'atelier de David pour peu que le modèle ne leur parût pas beau; il leur conseillait de ne peindre que des figures de six pieds de proportion; et, toujours dans l'idée de rendre « le beau », prescrivait de faire des ombres claires, afin que la transition trop brusque de la lumière à l'ombre ne détruisit pas l'harmonie des formés, comme ne manquaient pas de le faire, ajoutait-il dans le style brutal d'atelier, ces indignes Italiens. »

D’après la note de Nodier (Les Barbus) :« Ces expressions: « Pompadour », « rococo » [qu’on suppose formé de la contraction de rocaille et Barocco], à peu près admises aujourd'hui dans la conversation, pour désigner le goût à la mode pendant le rêgne de Louis XV, ont été employées pour la première fois par Maurice Quaï [sic] en 1796-1797. Alors ces locutions (on pourrait dire cet argot) n'étaient usitées et comprises que dans les ateliers de peinture. »
S’il parait injuste de les appliqués aux Sabines qui représentaient la meilleure façon d’en sortir, les premiers tableaux pour le prix de Rome de David relevaient de cette mode, imitant Fragonard dans le maniérisme et la.
David, 1771 Combat de Minerve et de Mars
David, 1772 Diane et Apollon perçant de leurs flèches les enfants de Niobé

 
Les Primitifs se proposaient aussi de renoncer à la perspective afin de construire des compositions frontales inspirées de la fresque, et de remonter aux sources de l’art étrusque. En sommes ils avaient, malgré l’influence qu’ils allaient exercer sur Flandrin et les peintres des années 1840 une centaine d’années d’avance, et il n’est pas étonnant qu’on se soit évertué à cacher le peu d’œuvres qu’ils ont pu produire. En 1800, David les chassa de l’atelier après les sévères critiques émises contre les Sabines et remplaça Quays par Langlois pour l’assister. Le  tableau de Jean Broc (1771-1850), l’Ecole d’Apelle apparaît –après restauration- comme un manifeste de ce que put être dans les toutes premières années du 19è la secte des Barbus :


Il traduit l’effervescence de ce courant qui ne survivra pas officiellement à Mauryce Quays, ni à la mort de leur égérie, Lucille Messageot  (décédée en 1803 de la tuberculose) peintre également, et qui épousa Jean-Pierre Franque, l’un des jumeaux hébergé gratuitement dans l’atelier de David. On dit que, dans l’esprit des saint-simoniens, les Barbus se constituèrent véritablement en secte, vivant en commun dans des fabriques en ruine de Montmartre et professant entre autres doctrines, le végétarisme.

Deux autres tableaux de Jean Broc, proches des premiers essais d’Ingres, illustrent bien la révolution que tentèrent de mettre en place les Barbus, c’est Ulysse chez Phéaciens


et La Mort d’Hyacinthe


 
dont la ligne épurée n’est pas sans rappeler la gravure de Girodet sur le même sujet (et les illustrations pour les odes anacréontiques en général ):

 


Hormis Antoine-Hilaire-Henri Périé, dont on ne connaît rien sinon qu’il épousa Julie Candeille, un autre membre proéminent du groupe des Méditateurs fut Hugues-Jean-François Paul Duqueylar dit Paulin (1771-1845) qui se réfugia dans la solitude du château de Valmousse à Lambesc, n’ayant livré au salon qu’un seul tableau Ossian récitant ses vers, qui fut jugé « bizarre » sans qu’on cherchât plus loin.


Un blog nous a cependant révélé deux détails de tableaux du musée Granet qui permettent de se faire une idée de son style à travers son grand tableau de 1808 Les héros grecs tirant au sort les captifs qu’ils ont faits à Troie :



 
La même salle du musée Granet à Aix contient également ce tableau qui est selon toutes probabilités son Bélisaire demandant l’aumône au pied d’un arc de triomphe élevé à sa gloire

 
Détail de la fuite en Egypte de la chapelle du château de Valmousse, qui révèle toujours un sens de la couleur pour le moins personnel et un dessin qui évoque Puvis de Chavannes



Jean-Pierre (1774-1860) et Joseph-Boniface (1774-1833) Francou dits Franque, bergers des montagnes de Savoie remarqués selon la légende par une grande dame en vertu des gravures qu’ils répandaient sur les rochers, furent les piliers de la secte des Barbus, -en raison de la résidence de Jean-Pierre dans une chambre au-dessus de l’atelier du Louvre. Leurs tableaux connus ne portent pas vraiment la trace des théories de cette école, même si leur premier succès commun se rapporte à la thématique d’Ossian, avec la Vision des désordres de la France avant le retour d’Egypte

 
C’est sans doute parce qu’on connait mal leurs œuvres de jeunesse (ci-dessous Jean-Pierre)


 
Attribué à Jean-Pierre Franque

Le musée de Valence a acquis une toile de Joseph-Boniface, commande d’état,dont la version achevée (souvent attribuée aux deux frères en collaboration) a disparu dans l’incendie du Château de Meudon en 1871. On la connaissait encore par cette esquisse

 
Joseph-Boniface Franque, Hercule arrachant Alceste aux Enfers


 
Postérité des Barbus

Bien qu’il ne fit pas partie officiellement de leur groupe, l’esprit du groupe se retrouve intacte en 1812 dans une toile un peu oubliée d’Ingres Romulus, vainqueur d’Acron porte au temple de Jupiter les victimes opimes





Ce tableau fut conçu comme une fresque destinée à décorer le Palais de Monte Cavallo, qui devait accueillit Napoléon Roi d’Italie, et qu’il ne visita jamais. Il faut croire que ces décors se rattachaient au souvenir de l’école de Quays, puisque Duqueylar réalisa un projet de plafond représentant Trajan distribuant les sceptres de l’Asie, et que pour la chambre de l’Empereur, Ingres peignit aussi le Songe d’Ossian :



Ingres marqua un attachement particulier à ce tableau qui descend évidemment des Sabines de David et fait partie des sujets de frises antiques citées par David dans sa note sur la Nudité de mes personnages, puisque Ingres en reproduisit de nombreuses fois le dessin après l’avoir achevé et qu’il se représenta même dans son atelier en train d’exécuter la commande.


On voit qu’il hésita longuement sur le détail de la composition, (jusqu’à la pose exacte du corps d’Acron) et réalisa une profusion d’études toutes très intéressantes :








Les principes énoncés par les Barbus trouveront une illustration tardive dans les œuvres académiques des peintres des années 1840 : Auguste Leloir, Homère


Hippolyte Flandrin, La Résurrection


Mais quoiqu’il les ait chassés de son atelier 25 ans plus tôt, David lui-même ne profita-t-il pas des leçons de ses élèves dans ses derniers tableaux ?

Mars désarmé par Vénus et les grâces (détail) et La colère d’Achille





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