De
grands noms
On
ne peut tout à fait se priver de mentionner Jean-Baptiste Isabey (1767-1855) qui s’illustra surtout par de
nombreuses miniatures, au demeurant charmantes, et quelques remarquables
marines pré-impressionnistes. Pour le sujet qui nous intéresse il ne donna pas
grand-chose…
Il
n’en va pas tout à fait de même d’Antoine-Jean,
Baron Gros (1771-1835) dont le succès et l’influence furent considérables
sur la première génération romantique, Géricault et Delacroix en particulier.
Gros avait eu une véritable formation académique, comme le prouve cette Mort de Patrocle
Et
de nombreux dessins italiens de ses carnets d’études. Royaliste, il fut
pourtant protégé par le Conventionnel et Régicide David qui l’expédia en Italie
sous la Terreur en même temps qu’il donnait des brevets de moralité à
Vivant-Dénon, futur administrateur du Louvre.
Gros, 1791
Sacrifice
d'après l'antique:
Le modèle italien (1791) identifié à Bridgi( ?) par les spécialistes et évidemment le premier modèle du Concours de la demi-figure :
deux prisonniers d'après Rubens
Acis et Galathée
Détail de l’Embarquement de la Duchesse d’Angoulème à Paulliac
Bataille d'Aboukir
Hercule et Antée
d’après
l’antique qui évoque le dernier tableau de Gros, Hercule et Diomède, qui suscita des réaction hostiles de la
critique et l’indifférence du public. Il est probable qu’en raison de cette
réception, Gros sauta d’un pont sur la Seine : retrouvé noyé le 25 juin
1835, il laissait dans son chapeau un message spécifiant que « las de la vie, et trahi par les dernières facultés qui la
me rendaient supportable, j’ai résolu de m’en défaire ».
Des
orphelins aux toiles inconnues
On
aimerait en savoir plus sur les débuts de Marie-Joséphine-Angélique
Levol-Mongez (1775-1855) rare élève femme de David, auteur de ces sept
contre Thèbes
Et
d’une vie de Thésée dont on connait la composition par la gravure
De
Jacques Christophe Paul Balat
(1804-1824), mort à vingt ans qui fut l’élève de Gros à Paris, on ne connait
malheureusement pas grand-chose sinon son tableau de concours pour l’académie
de Bordeaux, Scythès tendant l’arc de son
père.
Parmi
les élèves favoris de David, l’un eut un destin curieux : Jacques Topino-Lebrun (1764-1801),
partisan et ami de Babeuf, qui peignit La
Mort de Caïus Gracchus par allusion à la tentative de suicide de Babeuf
lors de sa condamnation à mort par le tribunal révolutionnaire.
Topino
fut guillotiné en 1801, compromis dans la Conspiration des poignards, une
manipulation policière qui visait à faire croire à une tentative d’assassinat
contre Bonaparte. Le témoignage de David ne suffit pas à le sauver. Il laissa
un chef-d’œuvre peint dans ses derniers jours, Le siège de Sparte par Pyrrhus qui était un appel à défendre la
république.
La
composition stupéfiante de ce dernier tableau (pas seulement la disposition des
groupes, mais aussi le relais créé dans le décors par les statues du haut et du
bas) compense son potentiel inachèvement.
Claude-Marie Paul Dubufe (1790-1864)
doit
aux encouragements de David la vocation familiale qui décida de sa destinée
alors que sa famille souhaitait qu’il fit une carrière politique. Alors qu’il était
élève consul, il réussit à changer de métier en survivant grâce à ses dons de
violoniste qu’il exerça dans les cafés concerts.
En
1810, alors que Delacroix exposait sa Barque
de Dante, il fit une entrée discrète au salon avec un Apollon et Cyparisse
En
1832, à Londres, deux tableaux, Adam et Eve et Le paradis perdu furent achetés
par des frères du nom de Brette qui les exposèrent sous condition commerciale à
travers les Etats-Unis durant trois ans. Ces toiles qu’on crut longtemps
perdues réapparurent en 1991 en vente publique, en Suède. Voici les détails des
nus :
L’atelier
de David en 1800
Jean-Henri Cless (1774-1812)
dont la carrière s’orienta principalement vers la miniature, fit ce célèbre
dessin aujourd’hui au Musée Carnavalet, intitulé Un atelier d’artiste en 1804 et connu sous le surnom d’Atelier de David, pour la raison qu’on y
reconnaît un Hector au mur le maître,
au fond, en chapeau haut-de-forme, la joue déformée par sa tumeur, comme le
peignit Jérôme-Martin Langlois durant son exil bruxellois.
C’est
un atelier pacifié que nous montre Cless, pourtant diverses factions l’ont
agité pendant le Directoire, parmi lesquelles les Crassons (ainsi nommé par
suite d’une plaisanterie de David, toujours fort bien habillé) dont Robin fils
devint le chef de file : il préconisait de fumer au moins trois pipes par
jour et de ne changer de linge que « lorsqu’il ne tenait plus au
corps ». Il s’y trouvait aussi les Mystiques, regroupés autour de Révoil
et des peintre de Lyon, mais encore les Muscadins ou Aristocrates (autour
d’Auguste de Saint-Aignan qui se recycla dans la politique) et leurs serviteurs
les Rapins. Mais les plus remuants d’entre eux, et ceux qui, malgré le peu
d’œuvres que l’on connait d’eux (voire aucune si l’on s’en rapporte à la
destinée de leur chef de file) devaient avoir une influence considérable sur la
peinture académique du premier 19è siècle, étaient regroupés dans la secte des
Barbus, aussi dits Primitifs, Méditateurs ou Penseurs.
Le
chef de ce groupe était Pierre-Maurice
Quays (1779-1803), successivement connu comme Maurice, Don Quichotte, Jésus
Christ et Agamemnon parce qu’il avait entrepris de se déplacer en toge tandis
que son compagnon Périé s’était fait faire un costume de Pâris.
Portrait de
Maurice Quays par Riesener
On
ne connait de Maurice Quays, mort à 24 ans, aucune œuvre, sinon qu’il fut assez
avancé pour servir un temps d’assistant à David sur le tableau des Sabines (et
que celui-ci loua ses académies qui doivent donc encore exister, rendues à
l’anonymat de musées de province) mais le portrait ci-dessus d’Henri François
Riesener.
Autoportrait de
Riesener
On
insiste dans ses images sur le désordre des coiffures, l’absence de cravates et
la trivialité des vêtements. L’image ne semble pas conforme au souvenir de
Charles Nodier, qui écrivit :
« Maurice
Quay était le plus beau des hommes. La nature avait voulu qu’il fût aussi
imposant par ses formes sensibles que par son génie, et comme elle n’arrive à
ce point de perfectionnement qu’en expiant son chef-d’œuvre par de grandes
compensations, elle ne fit que le montrer. Il disparut avant d’avoir atteint
les années viriles… »
Et
selon Etienne-jean Delescluze (David, son école et son temps)
« Les
fréquentes recommandations que faisait David à ses élèves, de se guider sur les
ouvrages de l'art grec, et particulièrement sur ceux du style antérieur à
Phidias, avaient porté leurs fruits. Cette idée, reprise en sous-œuvre par une
jeunesse fougueuse et inexpérimentée, fut poussée jusqu'à ses plus rigoureuses
conséquences, et ces principes exagérés, combinés avec les utopies « humanitaires »
que développait Maurice à ses adeptes, ne tardèrent pas à produire une anarchie
complète dans l'école de David. Bientôt … il fit entendre à ses cosectaires
«qu'il fallai tparler haut et marcher courageusement tête levée; que David
avait
commencé le grand œuvre de la réforme de l'art, il est vrai, mais que l'incertitude de son caractère et le peu d'étendue de ses idées l'avaient perdu en politique et ne lui donnaient pas l'énergie nécessaire pour compléter la révolution qu'il fallait achever dans l'art..
commencé le grand œuvre de la réforme de l'art, il est vrai, mais que l'incertitude de son caractère et le peu d'étendue de ses idées l'avaient perdu en politique et ne lui donnaient pas l'énergie nécessaire pour compléter la révolution qu'il fallait achever dans l'art..
Tel
était à peu près l'ensemble de la nouvelle théorie. Quant à la pratique, on ne
devait viser qu'à exprimer la plus haute beauté; aussi Maurice engageait ses
adeptes à ne plus travailler à l'atelier de David pour peu que le modèle ne
leur parût pas beau; il leur conseillait de ne peindre que des figures de six
pieds de proportion; et, toujours dans l'idée de rendre « le beau »,
prescrivait de faire des ombres claires, afin que la transition trop brusque de
la lumière à l'ombre ne détruisit pas l'harmonie des formés, comme ne
manquaient pas de le faire, ajoutait-il dans le style brutal d'atelier, ces indignes Italiens. »
D’après
la note de Nodier (Les Barbus) :« Ces
expressions: « Pompadour », « rococo » [qu’on suppose formé
de la contraction de rocaille et Barocco], à peu près admises aujourd'hui dans
la conversation, pour désigner le goût à la mode pendant le rêgne de Louis XV,
ont été employées pour la première fois par Maurice Quaï [sic] en 1796-1797.
Alors ces locutions (on pourrait dire cet argot) n'étaient usitées et comprises
que dans les ateliers de peinture. »
S’il
parait injuste de les appliqués aux Sabines
qui représentaient la meilleure façon d’en sortir, les premiers tableaux pour
le prix de Rome de David relevaient de cette mode, imitant Fragonard dans le
maniérisme et la.
David, 1771
Combat de Minerve et de Mars
David, 1772
Diane et Apollon perçant de leurs flèches les enfants de Niobé
Les
Primitifs se proposaient aussi de renoncer à la perspective afin de construire
des compositions frontales inspirées de la fresque, et de remonter aux sources
de l’art étrusque. En sommes ils avaient, malgré l’influence qu’ils allaient
exercer sur Flandrin et les peintres des années 1840 une centaine d’années
d’avance, et il n’est pas étonnant qu’on se soit évertué à cacher le peu
d’œuvres qu’ils ont pu produire. En 1800, David les chassa de l’atelier après
les sévères critiques émises contre les Sabines et remplaça Quays par Langlois
pour l’assister. Le tableau de Jean Broc
(1771-1850), l’Ecole d’Apelle apparaît
–après restauration- comme un manifeste de ce que put être dans les toutes
premières années du 19è la secte des Barbus :
Il
traduit l’effervescence de ce courant qui ne survivra pas officiellement à
Mauryce Quays, ni à la mort de leur égérie, Lucille Messageot (décédée en 1803 de la tuberculose) peintre
également, et qui épousa Jean-Pierre Franque, l’un des jumeaux hébergé
gratuitement dans l’atelier de David. On dit que, dans l’esprit des
saint-simoniens, les Barbus se constituèrent véritablement en secte, vivant en
commun dans des fabriques en ruine de Montmartre et professant entre autres
doctrines, le végétarisme.
Deux
autres tableaux de Jean Broc, proches des premiers essais d’Ingres, illustrent
bien la révolution que tentèrent de mettre en place les Barbus, c’est Ulysse chez Phéaciens
et
La Mort d’Hyacinthe
dont
la ligne épurée n’est pas sans rappeler la gravure de Girodet sur le même sujet
(et les illustrations pour les odes anacréontiques en général ):
Hormis
Antoine-Hilaire-Henri Périé, dont on ne connaît rien sinon qu’il épousa Julie
Candeille, un autre membre proéminent du groupe des Méditateurs fut Hugues-Jean-François Paul Duqueylar dit Paulin (1771-1845)
qui se réfugia dans la solitude du château de Valmousse à Lambesc, n’ayant
livré au salon qu’un seul tableau Ossian
récitant ses vers, qui fut jugé « bizarre » sans qu’on cherchât
plus loin.
Un
blog
nous a cependant révélé deux détails de tableaux du musée Granet qui permettent
de se faire une idée de son style à travers son grand tableau de 1808 Les
héros grecs tirant au sort les captifs qu’ils ont faits à Troie :
La
même salle du musée Granet à Aix contient également ce tableau qui est selon
toutes probabilités son Bélisaire demandant l’aumône au pied d’un arc de
triomphe élevé à sa gloire
Détail de la fuite en Egypte de la chapelle du
château de Valmousse, qui révèle toujours un sens de la couleur pour le moins
personnel et un dessin qui évoque Puvis de Chavannes
Jean-Pierre (1774-1860) et Joseph-Boniface (1774-1833) Francou dits Franque, bergers des
montagnes de Savoie remarqués selon la légende par une grande dame en vertu des
gravures qu’ils répandaient sur les rochers, furent les piliers de la secte des
Barbus, -en raison de la résidence de Jean-Pierre dans une chambre au-dessus de
l’atelier du Louvre. Leurs tableaux connus ne portent pas vraiment la trace des
théories de cette école, même si leur premier succès commun se rapporte à la
thématique d’Ossian, avec la Vision des
désordres de la France avant le retour d’Egypte
C’est
sans doute parce qu’on connait mal leurs œuvres de jeunesse (ci-dessous
Jean-Pierre)
Attribué à
Jean-Pierre Franque
Joseph-Boniface
Franque, Hercule arrachant Alceste aux
Enfers
Postérité des Barbus
Bien
qu’il ne fit pas partie officiellement de leur groupe, l’esprit du groupe se
retrouve intacte en 1812 dans une toile un peu oubliée d’Ingres Romulus, vainqueur d’Acron porte au temple
de Jupiter les victimes opimes
Ce
tableau fut conçu comme une fresque destinée à décorer le Palais de Monte
Cavallo, qui devait accueillit Napoléon Roi d’Italie, et qu’il ne visita
jamais. Il faut croire que ces décors se rattachaient au souvenir de l’école de
Quays, puisque Duqueylar réalisa un projet de plafond représentant Trajan distribuant les sceptres de l’Asie, et
que pour la chambre de l’Empereur, Ingres peignit aussi le Songe d’Ossian :
Ingres
marqua un attachement particulier à ce tableau qui descend évidemment des
Sabines de David et fait partie des sujets de frises antiques citées par David
dans sa note sur la Nudité de mes personnages, puisque Ingres en reproduisit de
nombreuses fois le dessin après l’avoir achevé et qu’il se représenta même dans
son atelier en train d’exécuter la commande.
On
voit qu’il hésita longuement sur le détail de la composition, (jusqu’à la pose
exacte du corps d’Acron) et réalisa une profusion d’études toutes très
intéressantes :
Les
principes énoncés par les Barbus trouveront une illustration tardive dans les
œuvres académiques des peintres des années 1840 : Auguste Leloir, Homère
Hippolyte
Flandrin, La Résurrection
Mais
quoiqu’il les ait chassés de son atelier 25 ans plus tôt, David lui-même ne
profita-t-il pas des leçons de ses élèves dans ses derniers tableaux ?
Mars
désarmé par Vénus et les grâces
(détail) et La colère d’Achille
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