lundi, mai 28, 2012

Géricault et la mort

Dans l'immense production de Géricault, il n'existe pas un seul tableau religieux original. Quant, à l'issue du salon de 1819, Géricault obtint une commande d'Etat, on lui demanda de peindre une vierge pour une congrégation religieuse. Vexé, il haussa les épaules et refila le pensum à Delacroix.
En bon fils de la révolution, Géricault ne professe pas de croyances religieuses. Ce Saint-Jérôme porte un titre apocryphe, le tableau fût-il de lui:
Cette "tête angélique" qui n'est qu'un portrait de jeune homme aux cheveux longs est répertorié par défaut comme une copie d'ancien:
Il est inutile de tenter de faire entrer Géricault dans ce cadre. Les copies de jeunesse de sujets religieux présentent toutes les mêmes caractéristiques, la représentation du Christ est celle du mort, ni crucifié, ni ressuscité, c'est le cadavre qu'on porte au tombeau:
 d'après Caravage
d'après Titien
un larron...
La copie de La justice poursuivant le crime d'après Proud'hon présente -dans une atmosphère plus sombre- un assassin plus jeune et une victime plus torturée.

Les images du transport des corps de héros s'accompagnent souvent du cortège festif de la procession antique:
Mort historique, Alexandre

Mort de Germanicus d'après Poussin
Morts mythologiques, provisoires, comme le songe d'Enee
Patrocle pleurant Hector

 Prométhée
idyllique



A Rome les bourreaux voisinent avec les bouchers:

séquences d'une exécution capitale:






A Londres, les pendus

côtoient  la Charrette de l’équarrisseur.
Car les animaux meurent aussi avec insistance chez Géricault, le cher cheval






le chien si vivant

s'endort;

mort, on ne le différencie plus d'un loup ou d'une chèvre.

Le chat surtout, tigre et lion d'intérieur, objet de multiples études

ne va plus très bien lorsqu'il faut un plot pour le soutenir;

jusqu'à ce double assassinat de 1820, peut-être les tableaux les plus déchirants de Géricault par leur froide objectivité:



La même calme horreur que dans cette première rencontre avec le général Letellier, suicidé dont les yeux ne sont pas refermés:


Echo de ces scènes historiques inachevées, l’Agonie du duc de Berry

 
L’exécution du général de la Bédoyère
 
Quand la rue elle-même n’est pas le cadre du drame, comme ce maçon tombé de l’échafaudage dans le Rue de Rivoli et pleuré par ses parents


l'épileptique romain

 
La victime de la rixe



Au moment de traiter son naufrage, Géricault revient à une série d'anciens dessins composés d'après un sarcophage antique à l'occasion du prix de Rome auquel il échoua mais dont il prépara néanmoins la troisième épreuve, sur le thème d'Oenone refusant d'aider Pâris au siège de Troie:
Oenone avait déjà disparu de la composition
pour aboutir à cette esquisse surnommé Funérailles d'Hector.
Croquis de jeunesse du sarcophage

Laissons la parole au spécialiste:

Cette réappropriation de la douleur masculine trouve son exact pendant dans les dessins d'Oenone refusant de secourir Pâris. Des guerriers troyens supplient, en vain, l'ancienne épouse de Pâris (il lui préféra Hélène). Toute la gestuelle des hommes indiquent la supplique et le désespoir. Bientôt il mourra et, comme son frère Hector, son cadavre sera porté et honoré par ses compagnons d'armes. Ces funérailles en évoquent d'autres, mais bien plus sordides, que Géricault dessinera deux ans plus tard (en 1818). Les assassins du magistrat Fualdès porteront le corps de leur victime pour le jeter dans l'Aveyron, humiliant de la sorte une deuxième fois leur victime. On se souvient que le corps d'Hector avait lui-même été outragé avant d'être récupéré par Priam. De ces destinées tragiques d'héros mâles, Géricault devait sans doute se souvenir quand il entreprit de retracer les terribles épisodes du Radeau de la Méduse.                  Bruno CHENIQUE
Cette objectivité médicale à décrire des cadavres, Géricault la confie à une série d'études, retournant aux écorchés


puis renonçant finalement à leur utilisation pour son tableau, car l'époque n'est pas prête à voir cela, on est déjà dans Schiele avec cette exaltation des angles et de la maigreur étique,


et les jeune gens de La Méduse regagneront en athlétisme académique ce qu'ils perdent en réalisme.




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