dimanche, mai 06, 2012

Eugene Jansson et les Bains de la Marine

On ne saurait mieux analyser l’œuvre d'Eugene Jansson que Franck Claustrat dans le n°507 de la revue L’œil:
L’œuvre du peintre suédois Eugène Jansson se présente comme un diptyque. Dans une première partie, Jansson peint, de préférence le soir, des paysages à la fois angoissants et poétiques. Puis, à partir de 1904, il se tourne vers l’étude de l’académie masculine, peint le jeu des gymnastes nus et leurs tours de force audacieux.
Dans ce diptyque c'est évidemment la deuxième partie qui nous intéresse, même si Jansson applique -de moins en moins- sa techbique néo-impressionniste à base de traits croisés de graveur à l'étude du corps masculin. C'est semble-t-il pour des raisons de santé que Jansson se met à pratiquer la natation et à fréquenter les Bains de la Marine. Il y retrouve des thème familiers déjà présents dans sa production:

Il y découvre aussi que les modèles ordinaires sont probablement plus complaisants et moins couteux qu'il n'avait imaginé.


Vient un moment, dix ans avant la fin (dix ans avant l'hémorragie cérébrale qui mettra fin à ses activités) où il n'est plus possible de continuer à peindre de gentils paysages pour touristes, et où il faut faire face à ce qui importe réellement, que ce soit ou non le hasard qui vous l'apporte, quand on sort du cabinet noir du bordel pour plonger dans la vie sous le soleil timide des îles suédoises.

A quoi ressemblaient les Bains de la Marine suédoise dans les années 1900?

vers 1950

 Un endroit comparable à la piscine Deligny, pour ceux qui l'ont connue, avec ses garçons de bain en blanc, ses caillebotis sous lesquels clapotait l'eau de la Seine, les maillots de bain en moins:
 



 Jansson prend lui même certaines photographies
apparaît sur d'autres
Et finit par se représenter dans ce cadre au milieu de ses modèles
Il transforme son atelier en salle de sport et y transporte ses trouvailles




          Le mouvement des haltérophiles
Dans une ultime période (1911-1914), Eugène Jansson poursuivit des recherches singulières en étudiant les attitudes et les mouvements corporels des haltérophiles durant leur entraînement, des marins en train de danser ou des acrobates contorsionnistes bravant les lois de la gravité. Son approche n’est ni classique, ni idéaliste, mais plutôt d’ordre scientifique, à la manière d’un praticien de la kinésithérapie. Exercices aux agrès est caractéristique de cette dernière phase du travail de Jansson alors que sa santé s’aggravait, à la recherche du bon emploi thérapeutique des mouvements de gymnastique. Profilé sur la géométrie rigoureuse d’un mur percé d’une fenêtre, le jeune athlète est suspendu à un anneau. Son corps est déformé par la tension extrême de ses épaules et par l’effort de ses pectoraux. L’étude des contorsions rappelle les figures expressives des Portes de l’Enfer de Rodin, bien connues de Jansson depuis son voyage à Paris et à travers de multiples reproductions. Le coup de pinceau sinueux, très expressif, de l’artiste, conservé depuis ses œuvres des années 1890, donne à ce Narcisse olympien solitaire une âpreté que le critique d’art Axel Gauffin décrira semblable à l’impression que produit la vue d’un « écorché vivant ».


Par ses études d'exercices gymniques, Jansson devient le premier peintre de l'haltérophilie, le seul peut-être, témoin d'une enfance de l'art, d'un exercice qui, en se codifiant, deviendra correct et respectable, oubliera ses origines "naturistes" pour devenir un sport.
 




Aux Jeux olympiques de Stockholm
La nature des relations de Jansson avec les jeunes marins et les haltérophiles contrarièrent son entourage, notamment les peintres Richard Bergh et Karl Nordström ; Jansson fut alors temporairement exclu du bureau de l’Association des Artistes. Pendant l’exposition d’été 1912 qui coïncidait avec les Jeux olympiques de Stockholm, Jansson fut défendu et comparé au peintre de la Renaissance Luca Signorelli, autant semble-t-il pour l’« humanisme charnel »  de ses modèles, leur style de vie arcadien, que pour le choix des poses provocantes. Dans un milieu artistique encore totalement voué au paysage d’atmosphère romantique idyllique, le critique Tor Hedberg écrivit que le nouveau style de Jansson signalait enfin « l’entrée du nu masculin dans l’art suédois »... Réhabilité aujourd’hui, Eugène Jansson est reconnu comme le pionnier du nu naturiste, anticipant, en quelque sorte, la peinture hédoniste des piscines avec figures de David Hockney.

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