vendredi, juillet 13, 2012

Paul Chenavard

Paul Marc Joseph Chenavard est un artiste fascinant, en raison de son évolution. Il aurait pu rester un décorateur académique de deuxième zone:

César franchit le Rubicon
 Brutus et ses fils
ou un peintre de sujets religieux sans grande originalité
Les catacombes
Son dessin semble à ses débuts assez faible, la peinture en tant que technique paraît peu l'intéresser. Lyonnais d'origine, influencé par les Nazaaréens allemands qu'il rencontre à Rome, par Hegel, Chenavard essaye de transmettre par la peinture une vision du monde singulière, restée hermétique à ses contemporains et dont le symbolisme complexe réclamait sans doute trop de connaissance des idées dans un monde où matérialisme et spiritualité n'avaient aucune chance de cohabiter.

En 1848, il obtient la commande émanant de Ledru-Rollin d'un décors pour le Panthéon. Il y travaille trois ans, avant que la commande ne soit annulée en 1851 par Napoléon III qui veut rendre à le bâtiment à l'église et comprend peut-être trop bien en quoi les projets de Chenavard, sous un déguisement religieux, sont une célébration de l'homme et des idéaux révolutionnaires.

Chenavard imagine ainsi de réaliser une histoire de l'humanité et de son évolution morale, interprétée comme une suite de transformations devant aboutir à une fin générale et providentielle. La partie gauche représenterait l'ère païenne, le chœur une Prédication de l'Évangile, fin des temps antiques et début des temps nouveaux. À droite, des fresques illustreraient les temps modernes. Enfin, sur le pavage serait placée, au centre, une gigantesque synthèse de la Philosophie de l'histoire, nouvelle École d'Athènes du XIXe siècle, entourée par l'Enfer, le Purgatoire, la Résurrection et le Paradis. (Wikipédia)
Une partie du projet est esquissée
Etude pour Le Paradis
 étude pour le jugement dernier

L'influence des représentations de Michelange est évidente, mais plus encore par ces chaînes de corps à la renverse, celle du Petit Jugement dernier d'Anvers de Rubens (détail)

la partie la plus complète du projet est le carton pour la mosaïque (330cm) connu sous le nom de Palingénésie sociale, présenté lors de l'exposition universelle de 1855, connu aussi dans sa version dite de façon erronée Triomphe des religions

détails du carton du Musée des beaux arts de Lyon
détail gauche

 
détail droit
 christ, aigle, bœuf et chimère

D'autres représentations se rapportent aussi à la philosophie des religions, dans un esprit proche de Bosch, comme celle de l'Enfer de Dante:

études




détails


Profondément affecté par l'échec de son grand projet, Chenavard réalise quelques tableaux religieux monumentaux moins extravagants:
Bourreaux de la crucifixion
  
La résurrection des morts

détail du Martyre de Polycarpe


Au Salon de 1869, Chenavard revient avec un ultime chef d’œuvre qu'on suivra pas à pas dans la description qu'il en fit:

« Vers la fin des religions antiques et à l’avènement dans le ciel de la Trinité chrétienne, la Mort, aidée de l’ange de la Justice et de l’Esprit, frappe les dieux qui doivent périr. Au centre : le Dieu nouveau expire, les bras en croix, sur le sein du Père dont la tête se voile dans les nuages. 



Au-dessus, dans le ciel séraphique, les bienheureux se retrouvent et s’embrassent. Quelques chérubins ailés ont les traits de la Mort, parce que celle-ci est partout. 


En arrière du groupe central apparaissent, d’un côté, Adam et Ève, de l’autre la Vierge et l’Enfant figurant la chute et la rédemption. Plus bas, sous l’arc-en-ciel qui sert de siège au Père, d’un côté Satan lutte contre l’Ange, de l’autre le vautour dévore Prométhée enchaîné. 



En bas : la vieille Maïa l’Indienne  pleure sous les corps de Jupiter Ammon et d’Isis-Cybèle à tête de vache et aux nombreuses mamelles, qui sont morts en se donnant la main et qui furent ses contemporains. 
 

  
À gauche : Minerve, accompagnée du serpent qui lui fut consacré, s’arme de la tête de Méduse 


dont le sang a donné naissance à Pégase que monte Hercule, emblème de la force poétique de l’antiquité. Le demi-dieu s’étonne devant la force toute morale du Dieu nouveau. Diane-Hécate lance ses dernières flèches contre le Christ. 
 

En arrière : Apollon écorche Marsyas, figurant, à ce qu’il semble, le triomphe de l’intelligence sur la bestialité. 



Au fond, dans l’ombre : Odin s’avance appuyé sur une branche de frêne, écoutant les deux corneilles qui lui disent l’une le passé, l’autre l’avenir. Il est suivi du loup Fenris (Fenrir), toujours furieux. Près d’Odin, son fils Hemdalt (Heimdall) souffle dans son cor pour appeler les autres dieux du Nord. 


Au-dessus : les Parques sous l’astre changeant, 



et plus haut l’éternelle Androgyne symbole de l’harmonie des deux natures ou principes contraires, coiffée du bonnet phrygien et assise sur sa Chimère



À droite : Thor, armé de son lourd marteau, de son gantelet et du bouclier qui double ses forces, combat le monstre Jormoungardour (Jörmungand), lutte qui ne doit finir qu’avec le monde, puisqu’elle symbolise celle du Bien et du Mal.  



Bacchus et l’Amour forment une triade avec Vénus, qu’ils transportent endormie. 



En arrière : Mercure emporte Pandore, qui s’est évanouie en ouvrant la fatale boîte. 



Au-dessus, la Mort, l’Ange et l’Esprit


précipitent dans l’abîme Typhon d’Égypte à la tête de chien, le noir Démiurge, Persan au corps de lion, ainsi que les planètes ailées et les astres enflammés. Dans l’angle inférieur, à droite, un spectateur, placé sur un segment de la ville de Rome, indique le lieu de la vision. » 



Ce tableau, Divina Tragedia suscita autant de louanges que de violentes critiques. Il demeura dans les réserves du Luxembourg  oublié pendant plus d'un siècle.


"Le cerveau de Chenavard est brumeux, fuligineux [...]. Dans ce cerveau les choses ne se mirent [...] qu'à travers un millier de vapeurs. Chenavard n'est pas peintre, il méprise ce que nous entendons par la peinture". Baudelaire condamne ainsi cettepeinture "qui a la prétention de remplacer le livre [...] pour enseigner l'histoire, la morale, le philosophie".

Là où il faut donner raison à Baudelaire, c'est que ce n'est plus de la peinture mais une oeuvre qui la dépasse pour devenir un manifeste d'une philosophie nouvelle dans laquelle toutes les religions sont mortes et où ne demeure que le symbole platonicien de l'indivision sexuelle pour que l'homme puisse espérer atteindre à la divinité. 


Plus que le jugement dernier de Michel-Ange, qui n'est qu'une illustration et ne porte pas de sens en soi, le tableau de Chenavard évoque cet autre chef d'oeuvre immortel de l'art qu'est la mystérieuse Chute des Titans de Cornélis van Haarlem:




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