vendredi, mars 27, 2015

Maurice Deriaz


Maurice Deriaz

L'article de Gilles Simond pour 24 heures donne une partie des clés:

Dans l’escalier de l’Hôtel de Ville de Baulmes, on tombe tout d’abord sur le portrait d’un jeune homme au torse nu puissant, le visage doublement barré par d’épais sourcils et une moustache noire. «Portrait de l’athlète Maurice Deriaz, par Gustave Courtois», dit la plaquette. 



Quelques marches plus haut, le tableau de 1912, dû lui aussi au peintre français, montre le colosse glabre, presque nu, en Hercule aux pieds d’Omphale. 



En réalité, le tableau Hercule aux pieds d'Omphale a été présenté pour la première fois lors du salon de 1910.

Les critiques de l'époque furent divisés sur la présence de l'homme fort dans le tableau:
Luc Montan, Le Sport et l’Art, L’Inspiration Sportive au Salon, La Culture Physique, No. 132, 1 July 1910, p. 397. "… il serait injuste, pour terminer, de ne pas citer le nom du peintre Gustave Courtois qui, s’il n’a pas précisément traité un sujet athlétique dans la fort belle toile qu’il expose à la Nationale : «Hercule aux pieds d’Omphale», s’est servi du moins pour l’exécution de son sujet d’un modèle tout ce qu’il y a de plus athlétique.Celui qui posa en effet pour l’Hercule de M. Courtois, n’est autre que Maurice Deriaz, le célèbre champion de force et de lutte. Avec un tel modèle dont on a si souvent comparé à juste raison la formidable musculature à celle d’un Hercule Farnèse légèrement réduit, M. Courtois n’avait rien de mieux à faire que de copier. C’est ce qu’il a fait et son Hercule est un admirable portrait, frappant de ressemblance, de Maurice Deriaz au repos.”

Le Figaro, 14 April 1910, P. 3: … enfin l’Hercule aux pieds d’Omphale, de M. Courtois, qui rappelle un peu plus Marseille jeune que Saint Saëns, mais qui ne manquera pas d’attirer l’attention au point que les longs commentaires seraient superflus.

Maurice Deriaz est ici photographié en 1913 (fonds Soury),  la ressemblance avec le modèle des tableaux est absolument frappante

Sur une troisième toile, datant de l’année suivante, il est "Persée délivrant Andromède". 


 Les trois tableaux, finalement revenus à Maurice, ont été donnés à sa ville d'origine, lorsqu'il revint finalement s'y installer.

 «Maurice Deriaz a été champion du monde de lutte et de lever du poids», explique Pierre Deriaz (sans lien de parenté, il y a plusieurs branches de Deriaz à Baulmes) en ouvrant la porte du galetas du petit Musée du Vieux-Baulmes, dont il s’occupe. 




Maurice Deriaz réunit, comme la plupart des champions de force de son époque les activités de la lutte (à mains plates, ce qui deviendra la lutte gréco-romaine, dite "française" et de ce qu'on appelle pas encore l'haltérophilie. Ce sont les deux volets de la "force" tels que Camille Bombois les représente successivement:

 

 Pour mémoire, la lutte en salle, issue des tournois provençaux connut son heure de gloire à la fin des années 1850 (derniers combats à la Salle Montesquieu en 1858). Dix ans plus tard, l'Arène de la rue Lepelletier ferma à son tour. Au début du 20è siècle, la lutte devient une activité des arrières-salles de café. La première fédération française de lutte sportive ne sera crée qu'en 1913.


 caricature de Felix Valotton (lui aussi d'origine vaudoise) illustrant Jules Renard:



Ne vous en allez pas, messieurs et mesdames ! On va commencer. Il ne manque que
dix sous sur le tapis. Vous êtes plus de cent personnes dans cette troupe assemblée et vous ne trouveriez point une pauvre misère de dix sous dans vos poches. Ce serait une honte ! Eh ! L'armée française, approche un peu ! Les militaires paient moitié place. On les rembourse quand ils reviennent de Madagascar. Un sou à vous deux, c'est-il trop cher pour voir le beau travail de monsieur Polydor ?

Entrez donc au salon, madame ! Polydor ne mord personne. Il n'avale que sa langue, les jours de soif. Merci, madame ! Plus que huit sous. Du courage. Admirez-le !... En s'asseyant dessus il casse les bicyclettes. Il tuerait un tigre à seule fin de s'y tailler un caleçon neuf. Merci, encore sept sous ! Du courage ! Il va porter à bras tendu les petits poids que voilà. N'en faudrait guère de pareils pour mettre autour d'un pigeon. Plus que six sous. Vous prendrez l'impériale de l'omnibus. Tâtez-moi ces boules de fonte. C'est dur comme les cuisses de M. Polydor. C'est moins lourd que le budget... plus que quatre sous, merci, le chiffre est officiel,... mais ça pèse tout de même, et chacune d'elle vaut un boeuf. Plus que trois sous ! Un petit effort. Vous rentrerez chez vous à pied. On refuse les timbres-poste. Plus que deux sous ! Le prix d'une boîte d'allumettes. Vous lirez votre journal à l'électrique. Merci, plus qu'un sou, un sou c'est tout. On trouve un sou dans une poubelle. Oh ! Le jeune père de là-bas, regarde sous ton pied ; il doit y avoir un sou. Justement. Merci, messieurs et dames. Nous ne voulons pas vous faire poser. Nous ne sommes pas des accapareurs. Monsieur Polydor est un artiste et moi aussi, de conscience ! Et si vous nous jetez encore cinq sous, seulement cinq sous, pas un louis de plus, pour nos petits bénéfices !... Non, c'est trop. Vous canez, vous détalez. Je savais bien. Je voulais vous faire peur. Vite à vos places, messieurs et dames, ouvrez l'oeil et gardez votre argent. Monsieur Polydor va commencer, il commence, pour rien, pour l'honneur !

  

Felix Valotton, traîte justement en 1910, dans un style très différent, le sujet que Courtois choisira pour son tableau de 1913


Ce qui est intéressant, concernant Maurcie Deriaz, c'est qu'il est représentatif, dans son époque du passage du lutteur forain à l'univers des artistes et des salons, ce que symbolise parfaitement la photo (probablement prise par Pascal Dagnan-Bouveret) qui représente Courtois en train de le peindre. Cette photographie ne paraît pas correspondre à aucun tableau identifié, ce qui laisse supposer qu'il existe sans doute d'autres exemples de la collaboration entre Deriaz et Courtois:




Né au village en 1885, Maurice est le fils de Jules, apiculteur et tisserand, dont «l’énorme musculature lui avait permis de se battre avec un ours sans perdre la face», raconte dans son autobiographie (La tête à l’envers, Diane Deriaz, Editions Albin Michel, 1988)sa petite-fille, Diane Deriaz, trapéziste et muse des surréalistes.

Un club de lutte à Paris

Comme ses six frères, Maurice hérite de cette force colossale. Veuf et en faillite, le père quitte Baulmes pour la France, laissant ses garçons placés dans des familles du village. Comme les autres, Maurice rejoint son paternel outre-Jura à l’issue de sa scolarité. «Ensemble, ils ont mis en route un club de lutte à Paris», se souvient Louis Cachemaille, mémoire vivante de Baulmes.

A 20 ans, Maurice remporte un tournoi de lutte gréco-romaine devant 44 participants. En 1912, il est détenteur d’innombrables records du monde d’haltérophilie. 

Le premier record mondial de Maurice Deriaz

Dans Les rois de la Force, Desbonnet se fait un peu plus précis:

Quiconque n'a jamais vu Maurice Deriaz ne peut se faire une idée de la musculature de cet athlète. C'est un Hercule Farnèse dont il est une reproduction vivante avec plus de muscles encore. Maurice Deriaz, qui est d'une taille ordinaire, paraît aussi large que haut. Il ne dépare pas la collection si imposante des sept frères Deriaz.

La valeur n'attend pas le nombre des années et Maurice Deriaz n'a pas attendu l'âge de vingt ans pour attirer l'attention du public, car à dix-huit ans il se signalait par des exercices de force qu'auraient enviés beaucoup de professionnels entraînés.

Né à Baulmes, canton de Vaud, Suisse, le 14 avril 1885, Maurice Deriaz, qui est fixé à Paris depuis sa jeunesse, est arrivé à accomplir des prodiges aussi bien aux poids et haltères qu'en lutte gréco-romaine ou en lutte libre; dans ces trois sports, on peut dire qu'il est passé maître. Maurice Deriaz possède d'ailleurs un tableau de performances qui nous dispenserait de faire l'éloge de ce sympathique athlète. A l'arraché à droite, Maurice Deriaz est arrivé à 179 livres, ce qui constitue le record du monde officiel professionnel. A gauche, il arrache 170 livres; à la volée : 172 livres à droite, 165 livres à gauche; d'un bras, 213 livres à droite et 190 livres à gauche. Inutile de dire que ces deux exercices sont faits d'une façon classique et que ces poids formidables sont épaulés d'une seule main par l'athlète, sans aucun truc et sans que la main gauche ou le coude gauche ne viennent arrêter le balan de la barre ou de l'haltère. En barre à deux mains, il atteint le poids formidable de 210 livres à l'arraché, 210 livres au développé et 270 livres au jeté. En haltères séparés, il épaule correctement et jette 250 livres. A bras tendu, il tient sur la main gauche 60 livres, sur la main droite 60 livres et cela, avec le fameux sourire sur les lèvres. 





Cet homme possède un cou d'une puissance sans égale ; c'est ainsi que, couché sur le dos, il se met en pont (la position favorite des lutteurs), saisit une barre de 244 livres qui se trouve près de sa tête, l'amène à la poitrine et développe ce poids fantastique en restant en pont. On comprendra facilement pourquoi cet athlète peut exécuter ce tour de force inouï, quand nos lecteurs sauront que le cou de Maurice Deriaz mesure 48 centimètres à l'état normal et jusqu'à 50 centimètres après le travail.

Citons pour mémoire un exercice favori de Maurice Deriaz, qui nous dépeindra bien la force de ce prodige. Il prend une barre de 1 30 kilos, la jette au bout des bras, la fait glisser sur une seule main, tient ces 130 kilos au bout du bras droit et exécute avec ce poids formidable au bout du bras trois flexions des jambes. C'est là un exercice qui n'est pas à la portée de tout le monde et il faut, pour l'exécuter, la force de cuisses de Maurice Deriaz.

Voici les mensurations de cet Hercule Farnèse, qui a une ressemblance frappante comme musculature avec Hackenschmidt le Lion Russe : hauteur i m 68, bras 45 centimètres, poitrine 122, avant-bras 36, ceinture 90, cuisse 66, mollet 42 et cou 48, poids du corps nu, 88 kilos.

Nous avons présenté Maurice Deriaz athlète, passons maintenant à Maurice Deriaz lutteur.

En lutte gréco-romaine, il est champion au cirque Métropole en 1906, il sort premier sur 44 concurrents, en tombant des hommes tels que Gambier.

En Angleterre, où il fit des tournées triomphales, il a battu tous les lutteurs jusqu'à 100 kilos, soit en lutte libre, soit en lutte gréco-romaine, car Maurice Deriaz est aussi fort en lutte libre qu'en gréco-romaine. En lutte libre il fit match nul avec John Lemm, le champion anglais qui pèse 10 kilos de plus que Deriaz.

Il ne rencontra dans toute la France qu'un homme avec qui il fit un jour un match nul, ce fut le fameux Louis Lemaire, homme d'une force extraordinaire et qui est appelé, comme poids moyen, à devenir réellement un des grands champions du monde. Il faut dire qu'avant ce match nul, Deriaz avait déjà tombé plusieurs fois Louis Lemaire, et ce n'est que depuis les progrès extraordinaires accomplis par son rival que Maurice Deriaz a terminé sa dernière rencontre par un match nul.


 



Maurice Deriaz fera certainement parler de lui avant peu, car il vient de lancer un défi à tous les hommes de poids moyen jusqu'à 90 kilos et visant particulièrement des athlètes de grande valeur, des champions tels que Lassartesse, Nytram et Rosset.

L'argent du défi a été déposé à « La Culture physique » et si ce match a lieu, les amateurs de belle lutte auront là quelques émotions.






Revenons à l'article de Gilles Simond:

Pour évoquer leur illustre concitoyen, Pierre Deriaz et Roger Cuendet, qui l’a bien connu, déplient précautionneusement une affiche. L’Hercule y est croqué de dos aux trois-quarts, tous trapèze et deltoïdes hypertrophiés. 


Baptisé au choix «Le lion suisse» ou «Roi de la beauté plastique», il lance des défis à travers toute l’Europe, offrant de juteuses primes à qui lui résistera sur le ring. Sans jamais tomber.



 

Si Maurice n’appartient pas à la célèbre dynastie des Deriaz photographes, il n’en est pas moins un homme d’images. Le Musée du Vieux-Baulmes conserve un album de photos où on le voit dans toutes sortes de poses avantageuses. 








Au faîte de sa gloire, il est saisi à Londres par un photographe de presse à sa descente du train. 


Des cartes postales soulignent ses liens amicaux avec d’innombrables costauds, qu’il engage lors de son long séjour au Nouveau Cirque, à Paris. Il noue aussi des amitiés avec des lutteurs suisses, le Lausannois Arthur Barbey ou le Neuchâtelois Eugène Vallotton, qui lui écrit à son adresse de Glasgow, alors que le Baulméran est la star du Royal Theatre de Kilmarnock.
 
«Mon oncle parlait couramment l’anglais, l’allemand et le russe. Il avait tenu la vedette au Cirque de Saint-Pétersbourg», se remémore Diane Deriaz. Qui cite un dialogue entre les frères: «Tu te souviens, disait par exemple l’oncle Maurice, quand j’ai cassé la colonne vertébrale de B.? Ça a fait «crac». – «Qu’est-ce qui est arrivé?» demandais-je. – «Il est mort», répondait Maurice.»

 Comme le prouve la mention en cyrillique, c'est le jeune Maurice Deriaz qui se cache derrière cette cagoule de catcheur

 


Sa période de gloire passée, le costaud se recycle, reprenant une fabrique d’anches pour hautbois, bassons et saxophones. «Pour assurer sa matière première, il a introduit la culture des roseaux dans le Var», affirme Louis Cachemaille. Deriaz renoue avec Baulmes, où il passe des vacances avant de s’y installer les dernières années de sa vie. Il décède à l’été 1974 dans son village vaudois, où il laisse le souvenir d’un bon compagnon, truculent à souhait.

Record en salle de Maurice Deriaz


et quelques documents correspondant à sa carrière tardive




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