Foxcatcher est revenu du dernier festival de Cannes avec un prix de la Mise en Scène; on aimerait croire que ce ne fut qu'une plaisanterie. Quoi de plus raté dans ce film que la mise en scène, languissante, pathétique, se voulant esthétisante à mauvais escient?
Heureusement ce n'est qu'aux Oscars qu'un prix du scénario est envisagé... ce serait pis encore, une manipulation de la réalité pour entrer dans un cadre politiquement correct, qui ne dit rien sur rien, une narration indigente qui ne fait qu'embrouiller les choses, des dialogues si inutiles qu'on en vient à rêver que le film soit muet, ce qu'il demeure à peu près. Car tout n'est pas raté dans cette vaste entreprise de démolition. Il y avait un sujet, si l'on avait insisté sur la décadence de la très riche Amérique des marchands d'armes, mais espérer ce genre de critique sociale d'un film américain reste utopique.
La principale erreur de ce film, c'est qu'il ne sait pas choisir ce qu'il raconte: est-ce une biographie de Mark Schultz, des dernières années de DuPont. Le resserrement chronologique qui vise à présenter en parallèle le séjour des frères Schultz dans la Team Foxcatcher ne permet ni de saisir la réalité de leurs rapport, ni d'expliquer le drame. Il aurait mieux valu procéder soit par flashbacks, soit suivre le déroulement de l'action sur plusieurs années.
Les vrais
Ceux du film
Channing Tatum est excellent en ce qui concerne les scènes de lutte (très peu nombreuses d'ailleurs), comme le dit Mark Schultz, il réussit à les rendre réelles. Mais pour le jeu d'acteur lui-même, c'est complètement raté! beaucoup trop "actor studio" dans le cliché "je ne fais passer l'émotion et la narration que par mes poses corporelles". Comment croire à cette introversion suicidaire à la limite de l'autisme? S'il suffit de réellement s'ouvrir le front en cassant des miroirs, c'est un peu court, comme psychologie. Ce qui ne prend guère c'est que l'admiration reste purement extérieure et qu'on ne ressent aucune sympathie pour le personnage. Un peu plus pour Raffalo en Dave (physiquement il est petit, l'un comme l'autre manquent de poils...), mais quelle manie de limiter le jeu à des dialogues murmurés, d'une tristesse insoutenable! Les entrevues des deux frères sont à la limite du ridicule, et pour cause, rien de ce qui nous est raconté n'a eu lieu, on fait jouer par l'un ce qui est arrivé à l'autre (l'interview par exemple).
Dave Schulz
Le poster original
celui du film
Il y avait mieux à faire de Tatum, mais si l'on souhaite le voir jouer, autant revoir L'aigle de la 9è légion . On regrettera pareillement la lente transformation physique qui, depuis ses années de modèle en a fait peut à peu une sorte de veau aux hormones un peu trop gonflé à la pompe. Comment disait Sylvie Joly à propos d'Aalin Delon dans Le Gitan? "c'est très beau comme corps"...
La sympathie du spectateur irait plutôt à l'assassin, encore que là non plus, aucun élément d'explication de son comportement ne soit compréhensible, à moins de lire entre les lignes. On comprend bien en quoi pour Carrel, le rôle est destiné à décrocher un oscar, mais dans ce trio personne ne joue, il faut aller chercher Vanessa Redgrave, qui n'a hélas que deux scènes, si l'on veut ressentir un début d'éblouissement devant les abîmes de silence des non-dits.
Les plus petits rôles ne sont pas mieux servis. Si Nancy Schultz a soutenu le film jusqu'à fournir des objets personnels ayant appartenu à Dave, la personnification qu'on ne fait en gentille mère au foyer qui passe son temps à plier le linge ne me paraît pas correspondre à sa personnalité flamboyante, ni à la chaleur de son contact pour ce que j'en ai connu.
Il me paraît à craindre que ce film soit nuisible à l'image du sport qu'il n'évoque que comme un prétexte. Au moment où l'on essaye de chasser la lutte des Jeux Olympiques, revenir sur cette affaire (surtout en évitant d'en expliquer les tenants et aboutissants) me semble peu opportun. Encore que d'ici 2020, le film ait toutes les chances d'avoir sombré dans les oubliettes, comme Magic Mike ou GI Jo. Rien dans le film ne montre l'aspect enthousiasmant et vibrant de l'activité elle-même. Nous n'avons affaire qu'à de pauvres garçons exploités par des pervers lubriques.
A cet égard je comprends la réaction violente de Mark Schultz lorsqu'il a découvert la lecture que faisaient les critiques d'une scène du film par ailleurs totalement insignifiante et dont il réclamait la suppression car elle nuisait -à juste titre à mon avis- à sa réputation. Le réalisateur a répondu que cette scène demeurait n'écessaire afin de montrer comment DuPont tentait de "s'impatroniser" dans la vie de ses lutteurs: mais c'est bien sa faute s'il n'a pas su le raconter autrement, sauf in extremis dans l'avant dernière scène de la visite du dimanche.
Pourquoi Channing Tatum n'a-t-il aucune relation féminine dans le film? Pourquoi ne nous raconte-t-on pas que DuPont, par suite d'une chute de cheval à neuf, avaient perdu ses testicules et était contraint de s'injecter quotidiennement de la testostérone? rien n'est fait pour éloigner le soupçon de relations homosexuelles actives, ce qui est une vieille lune inévitable quand on parle de ce sport (de tous les sports de combat d'ailleurs). Ce n'est pas dans le fait de montrer le désir qu'un vieillard décrépi peut éprouver pour ces jeunes gens qui rend les choses sales; c'est le fait de le sous-entendre alors qu'aucun fait avéré ne peut en réalité en faire la preuve. Même problème sans doute qu'entre le scénario de Gore Vidal pour Caligula et le résultat final du film qui n'a pas su s'y tenir. On aurait aimé avoir le portrait d'un Néron moderne, on aurait aimé voir comment la folie paranoïde gagne le personnage. On aurait aimé voir un film...
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