Thomas Eakins Autoportrait en rameur
Après des études plus ou moins assidues dans l'atelier de Gérome à Paris (ce qui fait de lui l'héritier des derniers pompiers) Thomas Eakins a fondé pratiquement ex-nihilo le courant du réalisme américain. Peintre-né, instinctif, il sait dès ses débuts trouver par la peinture, un style qui transcende le peu qui nous reste de ses dessins académiques:
Dès 1871 Eakins construit sa renommée sur des tableaux consacrés à un sujet unique (il en produit 24 en quatre ans), les rameurs, fait sans précédent qui contribue à faire entrer dans la représentation picturale ce sport à travers lequel Eakins, pratiquant lui-même redresse l'image d'une certaine féminité ou préciosité associée à l'activité artistique.
Son premier modèle est son ami Max Schmitt, champion amateur d'aviron qui fait des études de droit:
Etude Max Schmitt
Photographie de Schmitt à l'époque des premiers tableaux d'aviron (Eakins n'en est pas l'auteur, il n'achètera son premier appareil photo qu'une dizaine d'années plus tard)
On constate par ce détail que le personnage est traité avec un réalisme stupéfiant
Le tableau complet, où Eakins lui-même apparaît dans le lointain sous sa signature (comme vu plus haut)
A Max Schmitt succèdent rapidement des professionnels de compétitions d'aviron, les frères Biglin
John Biglin dans un skull simple
Pendant une dizaine d'années Eakins ne reviendra pas au sujet du sport, enchaînant les portraits et les sujets de commande, en plus de quelques nus féminins, jusqu'à ce que Edward Hornor Coates, dirigeant de la Pennsylvania Académie of Fine Arts où enseigne Eakins, ne lui passe commande d'un tableau de son choix pour la somme astronomique de 800 dollars.
Ce tableau, qui est peut-être le plus célèbre aujourd'hui des tableaux américains du 19è siècle c'est Swimming (Eakins ne le désignera que sous ce nom, en 1885, puis Les Nageurs en 1886. Le titre The Swimming Hole, sera fabriqué par sa veuve en 1917, qui invoque un prétexte littéraire, le poème The Ole swimming Hole pour la réapparition du tableau qui n'aura connu avant 1917 que deux expositions éphémères). Coates en effet, refuse la commission arguant qu'il espérait un tableau qui pût être suspendu aux murs de l’Académie de Philadelphie, un sujet "plus acceptable". Il choisit à la place The Pathetic Song, sans revoir le montant de la commission.
On le voit dans le tableau du philadelphian -et principalement peintre de paysage- Charles Lewis Fussell (qu'on estime peint entre 1860et 1865) et qui représente Eakins étudiant :
Modèles posant à L'Académie de Philadelphie, avec cache-sexe selon les recommandations de la direction:
Persuadé que l'étude du nu était l'unique moyen d'enseigner la peinture, Eakins, avait entraîné tous les ateliers de l'Académie dans une vaste exploration photographique du nu masculin particulièrement.
Des documents photographiques attribués indifféremment aux "membres du cercle d'Eakins" témoignent de cette activité qui suscitera même l'intérêt de Muybridge, spécialiste de l'étude du mouvement.
Etudiants posant nus dans les locaux de l'Académie
Eakins (photographe et modèle posant avec un modèle féminin dans son atelier à la PAFA)
Eakins Modèle dans l'atelier
Eakins Etudiants posant devant le bâtiment de l'unité photographique
Selon sa pratique habituelle, Eakins (l'un de ses étudiants ou de ses amis) réalisa plusieurs clichés à l'origine de Swimming
détail
Curieusement, aucune photographie ne reprend les poses du tableau final, ce qui a laissé supposé qu'Eakins aurait détruit celle qui l'avait inspiré, des experts ayant prétendu démontrer que le tableau portait sous la couche ultime des traces de marquages dues à l'utilisation d'un système de projection photographique.
Dès la première étude à la peinture, les poses sont fixées dans leur place définitive, à l'exception du personnage à l'extrême gauche qui viendra s'intercaler entre le personnage couché et l'homme debout, et d'Eakins qui se placera plus bas dans la composition:
Les autres études peintes ne concernent que le personnage au sommet de la pyramide,
le paysage
et Harry, le setter irlandais.
Talcott Williams (1849–1928)
Eakins photographie de Williams
Eakins portrait de Talcott Williams
journaliste, surnommé le "moulin à paroles", Williams accompagnera Eakins lors de sa visite chez Walt Whitman, le plus grand poète américain de son siècle.
Eakins photographies de Walt Whitman
Ce vieil homme des nude séries d'Eakins passe pour avoir été posé par Whitman
ce qui ne serait pas forcément étonnant
Eakins, portrait de Whitman 1887Que chacun soit, sans qu'il en manque un seul, exposé en public, nu,
chaque mois au péril de sa vie! Que nos corps librement
soit attouchés et manipulés par quiconque le choisit!
John Laurie Wallace (1864–1953), Jesse Godley (1862–1889)
Wallace a posé à de nombreuses reprises pour Eakins, pour la peinture
Jesse Godley a été identifié dans ces études de posture et de mouvement:
George Reynolds est sans doute celui des personnages du tableau dont l'influence sur la vie d'Eakins a été la plus importante. Quand Reynolds entre ) l'Académie de Philadelphie, il a, en dépit d'un physique qui parait juvénile sensiblement le même âge qu'Eakins, une quarantaine d'année. Déprimé par la mévente de ses tableaux et la mort récente de sa femme, Reynolds a semble-t-il trouvé en Eakins un maître à penser. Héros de la guerre de sécession, il est représenté par Eakins dans le portrait Le Vétéran:
Représenté aussi dans les "nude séries"
Quand Eakins est chassé de l'académie par la cabale menée par son beau-frère Franck Stevens (malheureusement suivi par Thomas Pollock Anschutz, ancien assistant d'Eakins et professeur lui-même dans la même institution), Reynolds prend la tête d'un groupe d'une soixantaine d'étudiants qui menacent de quitter l'académie si Eakins n'est pas réintégré. Ce mouvement aboutira à la création de la Ligue des étudiants d'Art de Philadelphie, école basée dans l'atelier personnel d'Eakins. Dans cette nouvelle structure improvisée les étudiants continueront à poser les uns pour les autres:
John Wright posant pour Reynolds:
le chien Harry (c. 1880–90), et Eakins
C'est sans doute là une partie du scandale, et qui peut expliquer le titre Swimming, replaçant Eakins lui-même (le seul véritable "nageur") dans la position du voyeur de la scène.
Les implications potentiellement érotiques du tableau ne sont en effet que dans l'oeil du spectateur... On trouvera confirmation de cette vision d'un âge d'or innocent dans Arcadia, antérieur aux Nageurs, qui mêle les nus des deux sexes, Eakins ayant fait poser pour le tableau à la fois sa femme Susan et J. Laurie Wallace.
Le motif du joueur de flûte parait avoir obsédé Eakins; qui le posa lui-même à plusieurs reprises (à côté de la même souche):
Dans ses premières photos de plein air, Eakins s'est représenté (ou fait photographier) dans le cadre idyllique du jardin d'Eden, au milieu ou à l'orée des hautes herbes.
Dans le même décors pastoral, Eakins photographie Wallace sur un pont mobile (l'homme vêtu est probablement Anschutz), avec un autre modèle non identifié: certaines de ces poses pourraient avoir un rapport avec la recherche de la figure de Williams dans Swimming.
tirage partiel (original déchiré)
Diverses photos moins connues dans le même décors (Avondale) nous sont parvenues par la collection Charles Bregler, rachetée par le musée de Philadelphie en 1980.
une des photos d'un des neveux d'Eakins
incrimina Stevens comme ayant par ces accusations essayé de couvrir ses propres relations homosexuelles "si tant est qu'il ne fût pas simplement fou" ajouta-t-il.
Eakins figures drapées
Au regard de la postérité, le plus important reste la réponse d'Eakins à Coates, le 15 février 1886, qui précise sa position vis-à vis de la controverse du nu:
Au moins mes figures ne sont pas un paquet de vêtements avec une tête et des mains qui en dépassent, mais elles ressemblent aux corps vivants et forts que la plupart des photographies révèlent. Dans la dernière moitié d'une vie consacrée à l'étude, vous pouvez croire au moins que la peinture est un sujet que je ne prends pas à la légère. Que je n'ai qu'impatience en face des faux semblants de la pudibonderie, qui sont les ennemis de toute peinture de modèle vivant. je ne vois pas ce qu'il y a d'indécent à observer les oeuvres de la Nature dans ce qu'elle a de plus beau. Est-ce mal de regarder une photo de nu ou une statue? Les dames anglaises de la génération précédente le pensaient et de ce fait évitaient les galeries de sculpture, mais ce n'est plus le cas. Ou est-ce une question de sexe? Seuls les hommes doivent-ils faire les statues de modèles masculins, tandis que les statues de femmes ne devraient être sculptées que par des femmes, et regardées uniquement par un public féminin? Les peintre-hommes dessineraient uniquement des chevaux et des taureaux, alors que les femmes, comme Rosa Bonheur ne feraient que les juments et les vaches? Le pauvre corps masculin dans la salle de dissection doit-il être émasculé avant que Mademoiselle Pruderie puisse fouiller dans ses entrailles? De telles absurdités m'indignent. ne voit-on pas à quoi ce genre de folie mène? Et combien elles sont destructrices? Ma conscience est sans tâche, ma souffrance appartient au passé.
Il paraît finalement peu probable, qu'Eakins ait touché à ses modèles. Ce n'était qu'une question pratique et d'opportunité, la corps masculin nu restant pour son temps plus acceptable qu'il ne l'est aujourd'hui. La plupart des nus féminins qu'il photographia sont au contraire couverts par des masques qui leur donne l'air sinistre de prisonnières humiliées.
L’œuvre de la Nature pour Eakins ne se limite pas à l'émerveillement devant le corps masculin:
Eakins et Wallace au bord de l'eau
1 commentaire:
N'étant ni sur Facebook ni sur Tweeter, je ne trouve pas d'adresse pour remercier directement Bertrand Boucquey des gentils commentaires laissés sur Pinterest où il a reblogué quelques images de cet article... je le fais donc ici en espérant qu'il me lise
http://pinterest.com/zooeyblu/mec-bordel/
(le titre de ce tableau me plait assez)
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