Le piano décoré à la demande de M. et Mme Anchorena
Cocteau présentant à Picasso un de ses pianos illustrés
Francis Poulenc et Cocteau sur la terrasse de Santo-Sospir (1960?)
On retient surtout de leur collaboration la transformation en "tragédie lyrique" de La Voix humaine :
"Par un curieux mystère, écrivait Poulenc en 1958 dans Les Lettres françaises quelques jours avant la première à l'Opéra-Comique, ce n'est qu'au bout de quarante ans d'amitié
que j'ai collaboré avec Cocteau."
Le moins qu'on puisse dire de cette déclaration, c'est que Poulenc avait la mémoire courte:
On ne trouve curieusement nulle part de mention de la première rencontre entre Poulenc et Cocteau. Les prémisses de ce qui deviendra le Groupe des six, remontent aux dîners du samedi que Cocteau lança à partir de 1916, d'abord dans l'appartement de Milhaud (Lire un résumé des Samedis de Montmartre sur Leonicat) qui allait bientôt suivre Claudel, pour trois ans en qualité de secrétaire d'Ambassade en Amérique du sud.
Autour de Satie se réunit le groupe des Nouveaux Jeunes, compositeur fraîchement issus du conservatoire (Poulenc s'est fait virer en décembre 1917, après la création de sa Rhapsodie Nègre. De 1918 à 1922, il se perfectionnera techniquement avec les leçons privées de Charles Koechlin). Le premier concert officiel de ces Nouveaux jeunes, a lieu le 15 janvier 1918 au Théâtre du Vieux Colombier, le groupe est alors constitué de Georges Auric, Louis Durey, Alexis Roland-Manuel, Germaine Tailleferre -de son vrai nom Taillefesse- et Arthur Honegger. Quand Poulenc les rejoint en septembre 1918, pour le concert de la salle Huygens, il est déjà proche d'Auric (dont il se plait à souligner qu'il le considère comme son frère -cadet de trois semaines- ) rencontré lors de leçons de piano avec Ricardo Vines.
A partir de janvier 1918, Cocteau travaille -après Parade- sur un nouveau projet de ballet USA Ange de New York, (un temps devenu Transatlantique et Atlantique, symphonie chantée) pour lequel il sollicite d'Auric deux danses et une chanson qui ne verront jamais le jour. Il y reprend l'idée du spectacle de fête foraine et des "boîtes à voix" déjà soumises à Stravinsky pour un David avorté.
Comme ce sera le cas dans Le Coq et l'Arlequin (publication 1919, qui passera pour le manifeste des Six) l'esthétique foraine et le Music Hall ("Nous voulons une musique américaine française") sont au centre des préoccupations. Dans le même temps la petite communauté des SAM (samedistes, Société d'Admiration Mutuelle) émigre vers le Gaya, rue Boissy d'Anglas ("bar-lavabo" aux carrelages bleus, ancienne boutique de vins portugais) qui deviendra au fil de ses déménagement le célèbre Boeuf sur le toit).
C'est alors que survient la première collaboration aboutie entre Poulenc et Cocteau, la chanson de cabaret Toréador.
le 16 octobre 191, Cocteau écrit
Mon cher Poulenc,
Vous avez "Toréador". Ouf ! Hier réunion au Vieux-Colombier.
Bathori [Jeanne, la danseuse de l'Eventail de Jeanne] et musiciens. La séance est décidée. A bientôt, retraite, et la retraite finale de Music-Hall. J'aimerais mieux vous la voir faire que des choses d'entracte, l'entracte étant consacré à la musique d'ameublement. [Satie commençait à développer le concept de Musique d'ameublement] Répondez vite à ce sujet.
La mélodie ne doit pas être aussi bien que du Chabrier, il faut la faire bien mais moche. (...)
Du reste, faites-la selon votre coeur, car l'ironie serait déplacée dans un "hommage au Music-Hall".
Informez-vous de l'orchestre auprès de Durey, et prévenez tout de suite Bathori-Straram de votre ritournelle batterie.
Enfin travaillez, la paix approche.
Pépita reine de Venise
Quand tu vas sous ton mirador
Tous les gondoliers se disent:
Prends garde... Toréador!
Sur ton coeur personne ne règne
Dans le grand palais ou tu dors
Et près de toi la vieille duègne
Guette le Toréador.
Toréador brave des braves
Lorsque sur la place Saint marc
Le taureau en fureur qui bave
Tombe tué par ton poignard.
Ce n'est pas l'orgueil qui caresse
Ton coeur sous la baouta d'or
Car pour une jeune déesse
Tu brûles toréador.
Belle Espagnole
Dans ta gondole
Tu caracoles
Carmencita
Sous ta mantille
Oeil qui pétille
Bouche qui brille
C'est Pépita.
C'est demain jour de Saint Escure
Qu'aura lieu le combat à mort
Le canal est plein de voitures
Fêtant le Toréador!
De Venise plus d'une belle
Palpite pour savoir ton sort
Mais tu méprises leurs dentelles
Tu souffres Toréador.
Car ne voyant pas apparaître.
Caché derrière un oranger,
Pépita seule à sa fenêtre
Tu médites de te venger,
Sous ton caftan passe ta dague
La jalousie au coeur te mord
Et seul avec le bruit des vagues
Tu pleures toréador.
Belle Espagnole
Dans ta gondole
Tu caracoles
Carmencita
Sous ta mantille
Oeil qui pétille
Bouche qui brille
C'est Pépita.
Que de cavaliers! que de monde!
Remplit l'arène jusqu'au bord
On vient de cent lieues à la ronde
T'acclamer Toréador!
C'est fait il entre dans l'arène
Avec plus de flegme qu'un lord.
Mais il peut avancer a peine
Le pauvre Toréador.
Il ne reste à son rêve morne
Que de mourir sous tous les yeux
En sentant pénétrer des cornes
Dans son triste front soucieux
Car Pépita se montre assise
Offrant son regard et son corps
Au plus vieux doge de Venise
Et rit du toréador.
Belle Espagnole
Dans ta gondole
Tu caracoles
Carmencita
Sous ta mantille
Oeil qui pétille
Bouche qui brille
C'est Pépita.
Poulenc écrira plus tard (in Journal de mes mélodies)
Toréador, chanson hispano-italienne de Jean Cocteau:
Bernac prétend que je chante cette mélodie - pardon, cette chanson - comme personne. C'est dire assez que la voix ne compte pas pour l'interprétation de cette plaisanterie musicale et que les "oins oins" qui sortent de mon nez, qui n'est pas grec, suffisent pour divertir les personnes auxquelles je la destine.
Le texte de Cocteau a été écrit en 1917. Pierre Bertin à cette époque, aidé par un groupe de musiciens, d'érivains et de peintres (Satie, Auric, Honegger, moi-même, Cocteau, Max Jacob, Cendrars, La Fresnaye, Kisling, Derain, Fauconnet), voulait donner, au Vieux-Colombier, une série de spectacles-concerts dans un style Bobino supérieur. Ce projet n'eut pas de lendemain. Disons tout de suite que c'était le début de cette confusion des genres qui, hélas, ne s'est que trop longtemps prolongée...
Toréador, je dois l'avouer, appartient à ce genre hybride. Une Marie Dubas, qui fait trépigner la salle de l'Empire avec Pedro, endosserait, j'en suis certain, une belle veste en présentant à ce même public Toréador. Toréador, caricature de la chanson de music-hall, ne peut donc s'adresser qu'à une élite restreinte. C'est exactement le type de la chanson faite pour rire, autour d'un piano, quelques amis à la page.
Ceci dit, j'aime beaucoup Toréador. Longtemps inédit, je me suis décidé à le publier aux environs de 1932, sur le conseil de mon cher vieil ami Jacques-Emile Blanche. Ce parrainage en dit long sur le côté littéraire de l’œuvre et sur le public auquel on peut prétendre.
Poulenc par Blanche
Le 21 février 1920, Cocteau présente au Théâtre des Champs-Elysées, sous le patronage du compte Etienne de Beaumont, un premier "spectacle d'avant-garde" dont le programme comporte une Ouverture de Poulenc, Adieu New York, fox-trott d'Auric, seul rescapé d'USA Ange de New York, (dont la chorégraphie est confiée par Cocteau à deux clowns de Médrano), Cocardes, trois mélodies de Poulenc sur des textes de Cocteau, Trois pièces montées de Satie, et enfin le ballet-pantomime de Milhaud, Le Boeuf sur le toit (précédemment Cinéma-Fantaisie, puis Nothing-happens Bar) où se meuvent lentement, portant de grosses têtes de Carnaval, un boxeur nègre qui joue du saxophone, une grosse dame rousse aux manières masculines, un bookmaker, un monsieur en habit qu'aucune situation ne parvient à étonner, même quand le policier survenu pour régler leurs différents et l'addition se fait trancher le cou par un ventilateur mécanique.
Cocardes se rattache par son titre au Coq et l'Arlequin de 1919 (manifeste dédié à Auric), qui donnera l'impulsion à une éphémère revue: Le Coq, bientôt "parisien" (3 numéros, le dernier proclamant "Le coq a chanté trois fois, nous allons bientôt renier nos maîtres") co-signée par tous les membres du groupe, plus Morand, Cendrars, Marie Laurencin et quelques autres; Cocteau et Radiguet y développent leurs idées artistiques qui s'opposent à Dada et prétendent renouer avec une tradition française.
Cocardes (1919), trois poèmes de Cocteau mis en musique par Poulenc
version originale pour violon, cornet à piston, trombone, grosse caisse, triangle et voix
1-Miel de Narbonne
Use ton coeur. Les clowns fleurissent du crottin d'or Dormir! Un coup d'orteils: on vole. Volez-vous jouer avec moa? Moabite, dame de la croix-bleue. Caravane. Vanille, Poivre, Confitures de tamarin. Marin, cou, le pompon, moustaches, mandoline. Linoléum en trompe-l'oeil. Merci. CINÉMA, nouvelle muse.
2-Bonne d'enfant
Técla: notre âge d'or. Pipe, Carnot, Joffre. J'offre à toute personne ayant des névralgies... Girafe. Noce. Un bonjour de Gustave. Ave Maria de Gounod, Rosière, Air de Mayol, Touring Club, Phonographe. Affiche, crime en couleurs. Piano mécanique, Nick Carter; C'est du joli! Liberté, Égalité, Fraternité.
3-Enfant de troupe
Morceau pour piston seul, polka, Caramels mous, bonbons acidulés, pastilles de menthe ENTR'ACTE. L'odeur en sabots. Beau gibier de satin tué par le tambour. Hambourg, bock, sirop de framboise. Oiseleur de ses propres mains. Intermède; uniforme bleu. Le trapèze encense la mort.
Soit, on comprend l'étonnement des critiques. Mais qu'en est-il de cette Ouverture de Poulenc passée inaperçue? La consultation du catalogue de Poulenc (et l'instrumentation si particulière de Cocardes ) qui mentionne même les oeuvres perdues ou détruites, laisse à penser qu'il ne peut s'agir que de l'Ouverture du Gendarme Incompris, saynette-caricature à l'usage des pensionnats, pochade que Radiguet et Cocteau rédigeront à l'été 1920, et dont le texte demeurera inédit en dépit d'une unique représentation, jusqu'en 1971!
Présentation par Cocteau du groupe des Six
Le concert de février 1920 demeure l'acte de naissance des SIX, puisque c'est Henri Collet, critique de Commoedia, qui les les affublera de ce sobriquet (sur le conseil publicitaire de Cocteau pense-t-on).
Sur le tableau célèbre de Jacques-Emile Blanche, c'est bien Germaine Tailleferre qui est au milieu, genou sur la chaise, la dame au premier plan étant la pianiste Marcelle Meyer:
La seule collaboration effective des Six à six reste l'Album de courtes pièces pour piano parues en 1920
Les Six (Auric absent mais punaisé au mur)
Le succès du spectacle du Boeuf sur le toit pousse d'autres artistes à se mêler au groupe. Les 24-25 et 26 mai 1921 un spectacle de Théâtre-Bouffe a lieu au Théâtre Michel.
On y entend La femme fatale de Max Jacob comme le stipule l'affiche. Personne ne s'étonne de cette attribution. Ce n'est pas le poète dont il s'agit, mais selon toute vraisemblance de Maxime Jacob, futur membre de l'Ecole d'Arcueil et qui deviendra un compositeur prolifique malgré son entrée dans les ordres sous le nom de Dom Clément Jacob.
Suit, Le Piège de Méduse de Satie (première utilisation d'un piano préparé) dirigé par Milhaud à la demande de l'auteur, le reste du concert étant placé comme celui du Boeuf, sous la direction de Vladimir Golschmann, Caramel mou, shimmy chanté de Milhaud.
Prenez une jeune fille,
Remplisse-la de glace et de gin
Secouez le tout pour en faire une androgyne
Et rendez la à sa famille.
Allo, allo Mademoiselle, ne coupez pas
demoiselle ne coupez pas moiselle
ne coupez pas zelle, ne coupez pas ne coupez pas
coupez pas pez pas pas Ah!
Oh, oh comme c'est triste d'être le roi des animaux
Personne ne dit mot oh, oh
L'amour est le pire des maux
Prenez une jeune fille
Remplissez la de glace et de gin
Mettez lui sur la bouche un petit peu d'Angustura
Secouez le tout pour en faire une androgyne
Et rendez la à sa famille
J'ai connu un homme très malheureux en amour
Qui jouait les nocturnes de Chopin sur le tambour
Allo, allo mademoiselle ne coupez pas
Je parle à je parle au allo, allo
Personne ne dit mot
Prenez une jeune fille
Remplissez la de glace et de gin
Ne trouvez vous pas que l'art est un peu........
Secouez le tout pour en faire une androgyne
Et rendez la et rendez la et rendez la à sa famille
On dit à l'enfant ''Lave toi les mains!''
On lui dit pas ''Lave toi les dents!''
Caramel mou!
Dernière partie du spectacle: Les Pélican d'Auric sur un texte de Radiguet (c'est bien le titre, il s'agit d'un ménage nommé Pélican, Auric n'a composé pour la pièce en deux actes qu'une Ouverture et un entracte), et Le Gendarme incompris, critique bouffe de Cocteau et Radiguet, habillée de la musique de Poulenc.
Le Gendarme incompris
Poulenc à Paul Collaer, le 4 décembre 1920: Je
travaille en ce moment à une petite partition pour un acte de Cocteau et
Radiguet que l'on donnera à Paris fin janvier je pense. Il y a une
Ouverture, deux chansons, deux duos, et un finale avec une petite danse.
Mon orchestre de chambre se composera d'une contrebasse, un
violoncelle, un violon, une clarinette, une trompette et un trombone. Il
y a trois personnages: un gendarme, M. Médor, commissaire de police, et
la marquise de Montonson. C'est tordant...
Poulenc en 1920
A Jean Hugo, qui en réalisera le décor, il confie en 1921: Je termine en ce moment Le Gendarme incompris, opéra-comique en un acte sur un livret de Jean et Bébé, qui vous amusera je crois.
Valentine, Radiguet, Jean Hugo
L'Ouverture
dans un style solennel interrompu par des citations de music-hall et de
musique de cirque, répond à la danse finale uniquement orchestrale. La
2ème chanson est un mélodrame (id est parlée). Seul le gendarme du titre ne chante pas dans la pièce.
En novembre 1920, les auteurs avaient pris soin de faire précéder la représentation à venir d'une Note payée (sans nom d'auteur) dans le Coq parisien (n°4) qui précisait l'essence du canular, mais il est probable que personne n'avait pris soin de la lire:
Bientôt:
1000è représentation de Le Gendarme incompris, saynette pour
Pensionnats, par Jean Cocteau et Raymond Radiguet. Le grand bruit mené
autour des 999 premières représentations de ce célèbre exemple de
mélocritique a peut-être empêché d'en comprendre toute la finesse.
Espérons que la millième offerte aux spécialistes du genre corrigera ce
succès tapageur et permettra enfin à nos dramaturges de se faire
entendre comme ils le souhaitent.
A noter qu'il
était prévu une autre mélocritique, visant Rimbaud "la soirée
dramatique" mais le genre s'éteignit, sans succession.
Le gendarme (pas le bon), celui qui gouverne le Zanzibar dans Les Mamelles de Tirésisas en 1947
Argument:
Au
lever du rideau, le Commissaire Médor (qui se plaint de n'avoir pas eu
d'affaire sérieuse depuis l'affaire Dreyfus) voit
arriver dans son bureau le gendarme La Pénultième accompagné d’un
ecclésiastique. Dans un rapport quasi
incompréhensible, le pandore accuse le prêtre d’un attentat aux bonnes
mœurs, dans le bois de Boulogne. Voici le rapport, que le gendarme
débite sur un ton "judiciaire", en roulant les r dans un fort accent du
sud-ouest:
"Les printemps poussent l’organisme à des actes qui, dans une autre
saison, lui sont inconnus et maint traité d’histoire naturelle abonde en
descriptions de ce phénomène, chez les animaux. Qu’il serait d’un
intérêt plus plausible de recueillir certaines des altérations
qu’apporte l’instant climatérique dans les allures d’individus faits
pour la spiritualité ! Mal quitté par l’ironie de l’hiver, j’en retiens,
quant à moi, un état équivoque tant que ne s’y substitue pas un
naturalisme absolu ou naïf, capable de poursuivre une jouissance dans la
différentiation de plusieurs brins d’herbes. Rien dans le cas actuel
n’apportant de profit à la foule, j’échappe, pour le méditer, sous
quelques ombrages environnant d’hier la ville : or c’est de leur mystère
presque banal que j’exhiberai un exemple saisissable et frappant des
inspirations printanières.
Vive fut tout à l’heure, dans un endroit peu fréquenté du bois de
Boulogne, ma surprise quand, sombre agitation basse, je vis, par les
mille interstices d’arbustes bons à ne rien cacher, total et des
battements supérieurs du tricorne s’animant jusqu’à des souliers
affermis par des boucles en argent, un ecclésiastique, qui à l’écart de
témoins, répondait aux sollicitations du gazon. À moi ne plût (et rien
de pareil ne sert les desseins providentiels) que, coupable à l’égal
d’un faux scandalisé se saisissant d’un caillou du chemin, j’amenasse
par mon sourire même d’intelligence, une rougeur sur le visage à deux
mains voilé de ce pauvre homme, autre que celle sans doute trouvée dans
son solitaire exercice ! Le pied vif, il me fallut, pour ne produire par
ma présence de distraction, user d’adresse ; et fort contre la
tentation d’un regard porté en arrière, me figurer en esprit
l’apparition quasi-diabolique qui continuait à froisser le renouveau de
ses côtes, à droite, à gauche et du ventre, en obtenant une chaste
frénésie." Mallarmé L’ecclésiastique in Divagations (1896)
-dans l'original, la suite, quoique allusive est sans doute plus
obscène, mais l'inconvenance ici venait de ce que le texte, qu'on peut
ignorer dans la quiétude d'une bibliothèque, prêtait à une
représentation pour le moins "ubuesque".
Le
prêtre clame son innocence, il n’est pas prêtre, il n’est pas
homme, il est Alinéa de Ptyx, marquise de Montonson qui s’était
baissée pour chercher
un trèfle à quatre feuilles, à l'extrémité de son parc, "appelé par les
gens du pays le bois de Boulogne". Les dés sont pipés depuis le début
car la marquise a pris soin de soudoyer le policier.
LA MARQUISE: Tirez- moi des mains de cet homme et je vous donne une seconde bourse.
MONSIEUR MEDOR: Soit. Mais surtout si La Pénultième vous prend pour un homme, pas un mot de vos bourses devant lui!..
La violence de la pochade est relancée par le fait que le rôle de la marquise, dans la meilleure tradition du théâtre lyrique (quoiqu'un peu à l'envers sans doute) est tenu par un homme, qui n'est donc pas un homme, d'où l'incompréhension légitime du gendarme, qui lui est supposé en être un, même si son stéréotype est un peu contaminé par la chanson célèbre chanson de Nadaud:" Brigadier, répondit Pandore, Brigadier, vous avez raison!"
Plutôt que de soulever sa robe pour prouver l’authenticité de son sexe, Mme de Montonson préfère inviter à dîner au château le commissaire -qui lui dit un madrigal aussitôt son identité reconnue- en compagnie de son ami le député, avec promesse de décoration. Le commissaire est aux anges. Et le gendarme écope de quinze jours d’arrêts « pour avoir manqué de respect à son supérieur dans l’exercice de ses fonctions ».
LA MARQUISE: Tirez- moi des mains de cet homme et je vous donne une seconde bourse.
MONSIEUR MEDOR: Soit. Mais surtout si La Pénultième vous prend pour un homme, pas un mot de vos bourses devant lui!..
La violence de la pochade est relancée par le fait que le rôle de la marquise, dans la meilleure tradition du théâtre lyrique (quoiqu'un peu à l'envers sans doute) est tenu par un homme, qui n'est donc pas un homme, d'où l'incompréhension légitime du gendarme, qui lui est supposé en être un, même si son stéréotype est un peu contaminé par la chanson célèbre chanson de Nadaud:" Brigadier, répondit Pandore, Brigadier, vous avez raison!"
Plutôt que de soulever sa robe pour prouver l’authenticité de son sexe, Mme de Montonson préfère inviter à dîner au château le commissaire -qui lui dit un madrigal aussitôt son identité reconnue- en compagnie de son ami le député, avec promesse de décoration. Le commissaire est aux anges. Et le gendarme écope de quinze jours d’arrêts « pour avoir manqué de respect à son supérieur dans l’exercice de ses fonctions ».
Au lendemain de la première représentation,
la presse fut assassine, démolissant à la fois l’anticléricalisme du
texte et l’absurdité prétentieuse du gendarme. Ces critiques mirent en
joie les deux auteurs et Jean Cocteau se fit un bonheur de révéler les
sources de la supercherie (28 mai 1921 article de Cocteau dans Commoedia, intitulé Excuses aux critiques):
« Le spectacle organisé généreusement par Pierre Bertin (créateur de Médor, c'est tout ce qu'on connait de la distribution) au théâtre Michel (je dis généreusement, car à l'encontre de ce qu'imaginent certains chroniqueurs naïfs, il doit y être de sa poche) lui vaut toute notre gratitude. Il a, en effet, choisi des ouvrages dont la valeur ne peut apparaître qu'à un petit nombre de personnes (... )
J'arrive au Gendarme incompris, de Radiguet, de Poulenc et de moi. Les auteurs ne savaient pas, en l'écrivant (ils l'écrivirent, si je ne me trompe, sauf le musicien, en deux heures) qu'ils tendaient un piège. Ils l'ont tendu sans la moindre malice. Car, j'ai le regret d'apprendre à M. Nozière, entre autres, que Le Gendarme est une critique en ce sens que le style Stéphane Mallarmé le motive, que cette critique est bouffe, parce qu'elle se moque en même temps de la critique et que sa nouveauté vient que de ce qu'au lieu de commenter un texte, on le montre simplement sous un aspect inattendu. Le gendarme La Pénultième ( son nom n’est-il pas un indice ? ) ne prononce pas un mot qui ne sorte, sans la moindre retouche, du célèbre Ecclésiastique des Divagations de Stéphane Mallarmé ; le sonnet du commissaire est le non moins célèbre Placet futile, première version, citée par Verlaine dans Les Poètes maudits. Les auteurs ont du reste pris soin de faire dire par le commissaire: J'ai de ce sonnet une version bien meilleure. Toute la pièce, idiote en soi, tourne autour de cet axe. L’Homme Libre qui cite M. Nozière et me trouve illettré, sera sans doute surpris d’apprendre que Le Gendarme n’est qu’un jeu de lettrés, sans aucune prétention théâtrale, que plusieurs personnages y portent des noms mallarméens et que l’intrigue n’y est conduite que par des allusions à une œuvre que tout homme qui s’occupe de littérature doit reconnaître au premier abord. Comment résisterons-nous à citer la phrase suivante de M. Antoine Banès dans Le Figaro: Les palinodies alambiquées de ce pandore stupide sont encore trop compréhensibles pour ma pudeur de vieux Parisien. Pauvre Mallarmé, s’en relèvera-t-il ? Mais ne soyons pas cruels. Même si j'ouvre vite le piège c'est pour que d'autres aveugles n'y tombent pas. la presse théâtrale risquerait de ressemble vite au tableau de Breughel. Une farce si laide n'était pas notre but. Nous avions même pris soin de prévenir par un préambule. Mais, à Paris, qui juge beaucoup écoute peu».
Auric -mais jusqu'à quel point la jalousie vis à vis de Bébé n'entre-t-elle pas en compte?- évoquera un "sacrilège littéraire délibérément accompli par Cocteau" tandis que, le 24 mai 1921, jour de la première, (et de la dernière) Milhaud écrit à Paul Collaer: le Gendarme est une chose merveilleuse aux instruments, d'une sensibilité si claire et l'on y sent tant de musique partout. le charme des mélodies en fait une chose des plus réussies. Il ajoutera plus tard qu'il regrette que Poulenc s'oppose à ce qu'on remonte la pièce.
Dans l'assistance, Misia Gobetska et la comtesse de Noailles, pourtant acquises aux expériences de l'avant-garde resteront également de marbre.
Pourtant
Poulenc fera jouer une suite d'orchestre, (trois morceaux, auquel
s'adjoindra ensuite la transcription de la Valse de la Marquise .)
A Cocteau à l'été 1921, Poulenc raconte: On a donné le Gendarme (Ouverture, Madrigal, Final) aux entr'actes des Ballets Russes à Londres. Ansermet (très emballé) m'a dit qu'on avait sifflé tant et plus, ce que m'ont confirmés quelques Argus. J'espère que grâce à cela Chester va me prendre cette suite (L'éditeur américain n'en fera rien). J'y ajouterai la valse ("Dans quel piège" en la transcrivant pour orchestre seul.
A la même époque Poulenc écrit encore à Ansermet: Que devenez-vous? j'aimerais bien savoir si vous avez joué le Gendarme, ce que vous en pensez et où est maintenant le matériel, le seul que je possède. Si vous avez fini aussi de vous servir de l'Ouverture, j'aimerais bien qu'on me renvoie le tout.
Ces pressions conduisent à une audition de la suite à Paris le 15 décembre 1921 lors d'un concert Jean Wiéner dirigé par Milhaud, au programme duquel figure également le Pierrot Lunaire de Schönberg! et à une dernière audition à Genève (Ansermet) le 22 février 1923, après quoi il n'en sera plus guère question jusqu'au premier enregistrement de 1972...
Quel lever de rideau pourtant pour Les Mamelles de Tirésias eût fait la pièce!« Le spectacle organisé généreusement par Pierre Bertin (créateur de Médor, c'est tout ce qu'on connait de la distribution) au théâtre Michel (je dis généreusement, car à l'encontre de ce qu'imaginent certains chroniqueurs naïfs, il doit y être de sa poche) lui vaut toute notre gratitude. Il a, en effet, choisi des ouvrages dont la valeur ne peut apparaître qu'à un petit nombre de personnes (... )
J'arrive au Gendarme incompris, de Radiguet, de Poulenc et de moi. Les auteurs ne savaient pas, en l'écrivant (ils l'écrivirent, si je ne me trompe, sauf le musicien, en deux heures) qu'ils tendaient un piège. Ils l'ont tendu sans la moindre malice. Car, j'ai le regret d'apprendre à M. Nozière, entre autres, que Le Gendarme est une critique en ce sens que le style Stéphane Mallarmé le motive, que cette critique est bouffe, parce qu'elle se moque en même temps de la critique et que sa nouveauté vient que de ce qu'au lieu de commenter un texte, on le montre simplement sous un aspect inattendu. Le gendarme La Pénultième ( son nom n’est-il pas un indice ? ) ne prononce pas un mot qui ne sorte, sans la moindre retouche, du célèbre Ecclésiastique des Divagations de Stéphane Mallarmé ; le sonnet du commissaire est le non moins célèbre Placet futile, première version, citée par Verlaine dans Les Poètes maudits. Les auteurs ont du reste pris soin de faire dire par le commissaire: J'ai de ce sonnet une version bien meilleure. Toute la pièce, idiote en soi, tourne autour de cet axe. L’Homme Libre qui cite M. Nozière et me trouve illettré, sera sans doute surpris d’apprendre que Le Gendarme n’est qu’un jeu de lettrés, sans aucune prétention théâtrale, que plusieurs personnages y portent des noms mallarméens et que l’intrigue n’y est conduite que par des allusions à une œuvre que tout homme qui s’occupe de littérature doit reconnaître au premier abord. Comment résisterons-nous à citer la phrase suivante de M. Antoine Banès dans Le Figaro: Les palinodies alambiquées de ce pandore stupide sont encore trop compréhensibles pour ma pudeur de vieux Parisien. Pauvre Mallarmé, s’en relèvera-t-il ? Mais ne soyons pas cruels. Même si j'ouvre vite le piège c'est pour que d'autres aveugles n'y tombent pas. la presse théâtrale risquerait de ressemble vite au tableau de Breughel. Une farce si laide n'était pas notre but. Nous avions même pris soin de prévenir par un préambule. Mais, à Paris, qui juge beaucoup écoute peu».
Auric -mais jusqu'à quel point la jalousie vis à vis de Bébé n'entre-t-elle pas en compte?- évoquera un "sacrilège littéraire délibérément accompli par Cocteau" tandis que, le 24 mai 1921, jour de la première, (et de la dernière) Milhaud écrit à Paul Collaer: le Gendarme est une chose merveilleuse aux instruments, d'une sensibilité si claire et l'on y sent tant de musique partout. le charme des mélodies en fait une chose des plus réussies. Il ajoutera plus tard qu'il regrette que Poulenc s'oppose à ce qu'on remonte la pièce.
Dans l'assistance, Misia Gobetska et la comtesse de Noailles, pourtant acquises aux expériences de l'avant-garde resteront également de marbre.
La comtesse de Noailles au bal d'Etienne de Beaumont en 1924
A Cocteau à l'été 1921, Poulenc raconte: On a donné le Gendarme (Ouverture, Madrigal, Final) aux entr'actes des Ballets Russes à Londres. Ansermet (très emballé) m'a dit qu'on avait sifflé tant et plus, ce que m'ont confirmés quelques Argus. J'espère que grâce à cela Chester va me prendre cette suite (L'éditeur américain n'en fera rien). J'y ajouterai la valse ("Dans quel piège" en la transcrivant pour orchestre seul.
A la même époque Poulenc écrit encore à Ansermet: Que devenez-vous? j'aimerais bien savoir si vous avez joué le Gendarme, ce que vous en pensez et où est maintenant le matériel, le seul que je possède. Si vous avez fini aussi de vous servir de l'Ouverture, j'aimerais bien qu'on me renvoie le tout.
Ces pressions conduisent à une audition de la suite à Paris le 15 décembre 1921 lors d'un concert Jean Wiéner dirigé par Milhaud, au programme duquel figure également le Pierrot Lunaire de Schönberg! et à une dernière audition à Genève (Ansermet) le 22 février 1923, après quoi il n'en sera plus guère question jusqu'au premier enregistrement de 1972...
En
1983, tout le matériel original manuscrit, accompagné de trois dessins
de Cocteau a été retrouvé par un chef d'orchestre canadien chez les
descendants de Raymonde Linossier (dédicataire de l'oeuvre musicale,
comme de beaucoup de partitions de Poulenc: Le manuscrit des Biches sera déposé dans son cercueil en 1930 malgré son refus d'un mariage de convenance avec le compositeur en 1925).
Poulenc et Raymonde Linossier (photo de foire)
Le spectacle est un four.
Un mois après, le 18 juin 1921 sont montés de nouveau au théâtres des Champs-Elysées, Les Mariés de la Tour Eiffel (ou La Noce massacrée), petit chef-d'oeuvre littéraire, où Cocteau parviendra à faire aboutir dans les personnages de l'appareil-photo et du phonographe, son obsession des "boîtes-parlantes" narrant l'action. (Divers manuscrits du texte original font apparaître Radiguet et Auric comme co-auteurs du texte...)
Les Six sont désormais cinq, Louis Durey ayant quitté le groupe quatre jours avant la générale, prétendant être malade, son esthétique personnelle lui faisant redouter de participer à pareille farce. La partie qui lui avait été dévolue, Valse des dépêches, échoit à Germaine Tailleferre.
Le banquet des Mariés
vue de la mise en scène originale
Les Mariés connaîtront un grand succès. Ils seront même montés à New York en 1923. Le défaut d'enregistrement s'explique par la perte du matériel d'orchestre, qui sera retrouvé miraculeusement en 1956 dans les archives du musée de la danse de Stockholm. Un seul numéro manque, la Fugue du Massacre, que Milhaud recomposera en 1971, soit cinq ans avant le premier enregistrement historique qu'il en dirige en 1966.
Les six reconstitués 25 ans plus tard
Satie, qui leur avait consacré une conférence en 1921 constate, en 1923 qu'il n'y a plus de groupe des Six; il affirme même: « Les Six sont Auric, Milhaud et Poulenc. » et après une rupture, due au rapprochement entre Auric, Cocteau et le critique Louis Laloy (chantre de Debussy, co-auteur avec Cocteau du livret des Facheux, ballet d'Auric, Monte Carlo 1924) inspire un autre mouvement appelé École d'Arcueil, composé d' Henri Sauguet, Maxime Jacob, Henri Cliquet-Pleyel (lesquels produisirent malgré tout des mélodies sur des poèmes de Cocteau) et Roger Desormières . Ce groupe sera encore plus éphémère encore que celui des Six.
Abvec Les matelots (1924) livret Kochno, Monte Carlo, la rupture est consommée. Cocteau reçoit la dédicace le 3 novembre 19925: A mon cher ami Jean Cocteau, ces Matelots où il retrouvera les clairons de Villefranche.
Décor et costume Pedro Pruna
Rideau de scène
Si le recueil Vocabulaire (1922) est dédié aux Six, sans en parler, c'est dans le suivant Plain-Chant (1923) qu'on lit
Auric, Milhaud, Poulenc, Tailleferre, Honneger,
J'ai mis votre bouquet dans l'eau du même vase,
Et vous ai chèrement tortillés par la base,
Tous libres de choisir votre chemin en l'air.
Or, chacun étoilant d'autres feux sa fusée,
Qui laisse choir ailleurs son musical arceau,
Me sera quelque jour la gloire refusée
D'être le gardien nocturne du faisceau.
Je n'imite la rose et sa douce lancette
Aspirant goulûment le sang du rossignol,
Et montre de mon cœur la profonde recette,
Pour que ces amis-là puissent prendre leur vol.
En 1936 Poulenc met en musique un cycle de mélodies issues de Plain-Chant (il en écrit 4 de six). Bernac raconte comment il les jeta au feu, lui promettant mieux, hélas, les pauvres poèmes d'Eluard! ou comment perdre un chef d'oeuvre pour le troquer contre l'esprit du caniveau. Aragon écrira "la proie pour l'ombre". Partie remise!
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