lundi, décembre 31, 2018

2019


2019
JOYEUSE RÉVOLUTION 


 

René Crevel : Les pieds dans le plat (1933) (chapître 7), extraits

"Or voici que craquent les armures,
la tour d’ivoire,
le cercle vicieux
et tous les cadres.


Ne point dénoncer explicitement un régime fauteur de chômage et de guerre c’est en demeurer implicitement complice. La caducité, la faillite prochaine de ce régime, de ses iniquités millénaires ne rendent pas ses intentions meilleures, au contraire. Il y a beaucoup de travail encore, pour que table rase soit faite de la bourgeoisie, de sa culture, de ses institutions, pour que le prolétariat victorieux enfin construise.

Le capitalisme ne se suicide pas, on le suicide, et pas en soufflant dessus. Ses monuments sont mieux plantés en terre que la muraille de la Jéricho des légendes. La chanson humanitaire que tant de dromomanes s’en vont chantant de par le monde, les petits cantiques du pacifisme bondieusard, voilà qui non seulement n’ébranlera point les pierres officielles, mais au contraire vise à cimenter d’opportunisme, de résignation, les moindres moellons, les plus infimes parcelles de ce qu’il s’agit d’abattre.

Le mensonge libéral, produit spécifiquement français, on sait ce qu’il vaut, ce qu’il nous vaut. On n’a pas oublié ce qu’il nous a valu. On peut prévoir ce qu’il nous vaudra. La France se pose en championne de la liberté individuelle, c’est-à-dire elle entend plus que jamais défendre la liberté de quelques individus, minorité d’exploiteurs dont le bon vouloir et les caprices ne demandent qu’à continuer de s’exercer aux dépens des exploités.
Si les profiteurs n’aiment pas toucher au bas de laine, entamer le magot, (connais-tu le pays où fleurit l’avarice ?) ils sont, par contre, prodigues de belles paroles (connais-tu le pays où fleurit l’éloquence ?). Des mots, toujours des mots, des mots qui ont perdu toute valeur. On est en pleine inflation verbale. Cette fausse monnaie à peine fabriquée, son effigie prometteuse, déjà, s’encrasse. Ses traits s’effacent. Avec ce qui en demeure, on ne saurait reconstituer un visage. En parler bourgeois, rien n’a plus de sens, ne veut plus rien dire, ou plutôt n’a de sens, ne veut dire que par grimaçante, odieuse antiphrase.

(...)
Cette immense mosaïque de pourriture, de niaiseries, de rages est cimentée de boue sanglante. Ici c’est une république bourgeoise. On nous la fait à la démocratie, au libéralisme, à la séparation des pouvoirs, mais ces messieurs de l’exécutif, du législatif et du judiciaire sont d’accord, de connivence sur un point et un point bien acquis, un point qui leur profite toujours. Gouverner c’est réprimer. Et il n’est pas un pays qui ne prétende à gouverner le monde. Chaque Français moyen en 1914 s’est pris pour l’impératrice Ugénie. C’était sa guerre. La dernière guerre, la dernière avant la prochaine. Le nationaliste est toujours un monsieur bien pensant, et le monsieur bien pensant un nationaliste. « Homicide point ne seras… » lui a jadis appris son cathéchisme quand il avait six ans. Il ne tolère pas qu’on se moque, qu’on doute de la religion, mais il veut – et comment ! – qu’on défende, qu’on tue pour défendre son coffre-fort. « Il faut de tout pour faire un monde », dit-il sentencieusement, et, pourvu que ce ne soit pas sur sa petite personne, il se plaît à penser que le surineur se fait la main, la nuit, au coin des rues, en temps de paix. Un jour ou l’autre on aura besoin de nettoyeurs de tranchées. Soyons donc prévoyants.

(...)

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