samedi, août 20, 2011

Dessins académiques de l'école russe

Le sujet est méconnu et les peintres dont émanent ces études n'ont que peu de notoriété en occident. Faute de bien les connaître, je ne jetterai qu'un rapide coup d’œil aux quelques exemples qui me sont passés entre les mains: particularité des dessins d'atelier russes pré-révolutionnaires, la présence de nombreuses double-académies, exercice de virtuosité qui déplace la simple observation du modèle vers l'exigence de la mise en place d'une composition.

Fedor Bruni (1799-1875) né Fidelio Antonio Bruni à Milan suivit son père, peintre et sculpteur en Russie. Son grand oeuvre sont les cartons pour les fresques de la Cathédrale Saint-Isaac:
Bruni avait fréquenté à l'Académie les ateliers de Vasily Kuzmich Shebuyev (1777-1855):

et celui d'Aleksey Yegorevich Yegorov (1776-1851)
 Ce Christ aux outrages appartient au musée de La Hague, il en existe une étude à la Galerie Tretiakov
Yegorov a été le maître de la plupart des académiciens russes, à commencer par Alexander Andreïevich Ivanov (1806-1858);
Ivanov, très influencé par les peintre italiens de la chrétienté est resté célèbre pour un tableau de l'Apparition du Christ aux gens du peuple, tableau qui a curieusement donné lieu à de nombreuses études de nus:






Les séjours italiens d'Ivanov lui ont donné l'occasion de peindre de nombreux très jeunes baigneurs de la baie de Naples, mais on sort là du sujet;

Revenons aux doubles académies avec le condisciple du 1er Karl Bryullov (1799-1852), mondialerment célèbre pour sa toile des Derniers jours de Pompéï
Si le modèle frontal est couvert, il n'en va pas de même dans ce dessin d'un Dyonisos avec satyres et ménades
 Quelques dessinateurs et peintres dont les notices biographiques sont plus difficiles à trouver (si quelqu'un peut aider, lachez les comm comme disent les djeunz)
Ivan Grigorev

Petr Kamensky

 Shelkovnikov (18ème)

Orest Kiprensky (1782-1836), typique de la période romantique, mort à Rome de pneumonie:
Alexei Kannunnikov

Ivan Makarov (1822-1897) connu principalement pour ses portraits
Konstantin Makovsky (1839-1915), qui succomba à un accident, son attelage ayant été renversé par un tram électrique
Sergeï Ivanov (1864-1910)
Valentin Serov (1865-1911)
 Vassily Sourikov (1848-1916)

Anonyme
La tradition du nu académique est sans doute plus largement représentée dans la tradition russe comme en témoignent ces quelques rares tableaux:
Ivan Akimov (1755-1814) Hercule sur le Pyre
élève d'Anton Losenko (1737-1776), ici Abel

Piotr Sokolov (1821-1899)
Certains de ces nus académiques ont connu une nouvelle popularité à travers les dégradations que leur fit subir Staline, animé d'une rage étrange contre ces dessins d'hommes nus. Le camarade Staline s'était fait apporter une vingtaine de ces dessins qu'il ratura au stylo-bille, couvrant en une occasion le sexe d'un triangle, faisant des commentaires sur les anciens du parti, écrivant ici où là "ne pas s'asseoir tout nu sur les pierres" ou "qu'on lui apporte un pantalon": un seul de ces nus suscita un commentaire admiratif sur la force qui s'en dégageait.
Sur ce dessin d'Alexandr Ivanov, Stalin a ajouté "Il se cache du soleil, c'est un lâche". Cet autre dessin de
Chivilev (1839-1861) -élève trop peu connu de Bruni, suscita de même sa colère:
Conséquence peut-être de la réputation sulfureuse du nu (masculin) les "académies" de l'époque soviétique se rhabillent, comme de l'autre côté du globe, les années 40-50 sont l'ère du posing strap, et la nudité frontale se réfugie dans la stylisation de la statuaire monumentale. La représentation du sexe masculin serait-elle un signe de décadence petit-bourgeoise? La plupart des dessins d'ateliers de cette période restent anonymes, comme si les artistes redoutaient de les signer.


vers 1940
vers 1950
Alexander Korolev 1949
Viktor Lipunov
Kharitonov 1940
Boris Yakovlev 1949
Vladimir Kharlamov 1957





samedi, août 13, 2011

Hackenschmidt, le dernier demi-dieu

Né à Dorpart (aujourd'hui Tartu, Estonie) en août1878, Georg Karl Julius Hackenschmidt a laissé une trace indélébile dans l'histoire de la Lutte, de l'Haltérophilie (on possède moins de renseignements sur la natation et le cyclisme qu'il pratiqua) mais également du Catch des premiers temps du professionnalisme, et même de la philosophie.




Pour ce qui nous intéresse principalement ici, il fut aussi l'un des plus beaux athlètes de l'ère moderne, doté d'un visage juvénile et harmonieux, très différent de la plupart des hommes forts des années 1900. C'est évidemment un point de vue un peu court, mais on trouvera ailleurs de nombreuses pages sur les exploits sportifs d'Hackenschmidt, qui eut la chance de naître au moment où la pratique sportive commençait à se constituer en une discipline mesurée, à base de titres européens ou mondiaux unifiés, de records enregistrés, d'innovations précisément décrites, ce qui ne suffit pas à expliquer tout à fait la fascination qu'il exerça longtemps -et aujourd'hui encore- sur une foule d'admirateurs déchaînés.



Premier champion d’Europe officiel de lutte gréco-romaine, champion du monde poids-lourds de lutte libre, invaincu de 1905 à 1908, champion de France de lutte, champion de Russie d'Haltérophilie dès 1899, recordman du monde après Bonnes, on lui prêt l'invention de la prise du Bear Hug, de diverses techniques d'exercices, du développé-couché.




Quelques faits moins connus, en vrac:
Hackenschmidt dont l'intérêt pour l'entraînement avait commencé alors qu'il n'avait que 13 ans, fit son service militaire dans le régiment affecté à la garde personnel du Tsar (je ne sous-entend rien ici mais il est de nototriété public que le Tsar aimait à se baigner nu dans les lacs de Finlande avec une partie de ses gardes du corps, et que son frère, Konstantin, protecteur de Tchaikovsky vivait entre autre dans une intimité rapprochée avec plusieurs de ses ordonnances).



Parmi les première photographies d'Hackenschmidt, on trouve un double portrait avec Sergeï Eliséev, personnage dont il faut dire quelques mots: c'est le frère d'Elyséev (son cadet de 3 ans) qui écrivit au docteur Krajewski et fut invité le premier à faire la démonstration de ses talents à Saint-Petersbourg. Lorsqu'il y ramena Sergeï son ascension fut extrêmement rapide, et il prit immédiatement la deuxième place derrière Hackenschmidt dans les championnats d'Haltérophilie organisés en Russie en 1899. Il remporta à Milan le premier titre mondial de ce sport. Il ne reste que de très rares portraits d'Eliséev, car sa chute fut aussi rapide que sa notoriété l'avait été. Sergeï Elyséev, mécanicien des chemins de fer, prit par aux agitations de 1905, il y joua un rôle actif, détenant chez lui un stock d'armes. Arrêté à plusieurs reprises par la police secrète impériale il fut exilé en Sibérie vers 1906. Après la révolution de 1917, continuant à s'entraîner et gagnant sa vie dans des cirques, il monta à Tomsk un club dans lequel il entraîna jusqu'à 40 élèves. Redécouvert au début des années 30, il  consentit à participer à un match de vétérans, contre Poddubny, qui sans en avoir l'intention lui brisa le poignet. Il fut ensuite une curiosité pour les médecins soviétiques qui cherchèrent à évaluer l'incidence du sport sur la santé des anciens haltérophiles. Sa réputation d'agitateur le poursuivit d'un régime à l'autre. On pense qu'il fut assassiné en 1939 par la police de Staline.

 Sergeï Eliséev

Georg n'était apparemment pas le seul lutteur de la famille: il attribuait sa constitution exceptionnelle à son grand-père suédois. La collection Soury possède, avec une coupure de presse de double biceps, une photographie de son frère, Bruno, dont on ne sait rien d'autre:




La carrière de lutteur d'Hackenschmidt s'étend de 1896 à 1911. Lors de ses premiers combats, pour l'accoutumer à paraître en public, Krajewski le fit engager par un cirque de Riga; il apparut un temps sous le pseudonyme de Lenz. Il fut ensuite habilement managé par Charles Cochran qui en fit la star internationale la mieux rémunérée des premières années du 20ème siècle. Lors de sa tournée en australie en 1904, Hackenschmidt ganait 600 dollars par semaine, une somme astronomique pour l'époque. Les matches d'Hackenschmidt, contrairement à la pratique courante  n'étaient pas truqués, et Cochran tenta d'y ajouter un peu de spectacle afin que les rencontres durent  plus longtemps (en 1904 toujours Hack se débarrassa de Madrali en 44 secondes...): on dit par exemple que c'est sur son conseil qu'il adopta le port de cuissards jaune citron lors de ses premiers combats en Angleterre.

Quelques photos d'action:

                                                             avec Constant le Boucher
On voit ici Hackenschmidt dans ce qui semble avoir été une de ses spécialité, le pont, que la musculature exceptionnelle de son cou lui permettait de tenir à l'entraînement plus de vingt minutes d'affilée:
Il existe de nombreuses autres poses de ce cette série avec Gruhn, assez difficiles à trouver dans une qualité satisfaisante. Pour mémoire
 Hackenschmidt-Gruhn (collection Fred A) click on it


La série la plus célèbre est constituée par les clichés pris par Huber à Vienne en 1903
 identifiables par le fond peint, les mocassins et les bas noirs


Une autre série de jeunesse est reconnaissable par la présence d'un tapis de salon à fleurs:



C'est à celle-ci qu'Hackenschmidt emprunte les deux photos pleine page qui illustrent le dernier chapitre de son premier livre The Way to live.

En 1906 à Londres Hackenschmidt se lia d'amitié avec Houdini, dont le métier était un peu différent, mais qui se produisait dans les même salles. Le premier film (perdu) d'Houdini portait le titre Houdini beats Hackenschmidt (ce qui faisait allusion au record de recette de l'illusionniste et non à la lutte). 



 
Plusieurs combats d'Hackenschmidt ont été filmés dans les années 10 mais les copies ne sont pas préservées (ou restaurées) quand bien même certaines sont localisées dans diverses cinémathèques nationales, ce qui fait que le public n'a accès à aucune image d'Hackenschmidt en mouvement.

Autre série de photos connues, les 15 poses réalisées pour Strenght and Health, certaines habillé. En voici quelques unes:


Ces clichés oxydés font-il partie d'un autre séance de pose?



Hackenschmidt en tournée aux Etats-Unis en 1908






La première fin de carrière d'Hackenschmidt eut lieu lorsqu'il perdit devant Franck Gotch, en 1909, combat  dont la "revanche" eut lieu en 1911, les deux fois dans des circonstances assez troubles. Trois mois avant la première rencontre, Gotch s'enduisit quotidiennement d'huile afin qu'il en soit tellement pénétré qu'il devint impossible de la saisir. Le soir du combat Hackenschmidt lui suggéra de prendre un bain, ce que Gotch refusa évidemment. "En fait, les autorités du ghymnase de chicago me refusèrent l'entrée de leur salle, et la plus grande partie de mon entraînement se déroula dans le corridor de mon hôtel... de plus durant le combat, Gorch m'enfonça plusieurs fois son pouce dans les yeux, jusqu'à ce que je n'y vois pratiquement plus rien" confia Hackenschmidt une vingtaine d'années plus tard.

Ou bien Hackenschmidt négocia-t-il sa venue aux Etats-Unis contre une défaite programmée? L'affiche du match retour le présente à l'évidence comme le méchant (divers événements "commerciaux" montrèrent Le Lion russe soulevant des lionceaux en présence d'enfants, et le marketting lui fit même manger de la viande de lion:
La revanche de 1911 fut pire: Hackenschmidt souffrait du genou: il n'invoqua jamais que la malchance d'avoir été blessé par ses sparing-partners, Roller en particulier, qui, lors d'une exhibition s'était relevé en même temps que lui et le heurtant involontairement:


Mais il se raconte que Zbyszko fut payé par le manager de Gotch pour le blesser en temps utile. Le propre manager d'Hackenschmidt lui recommanda de ne pas renoncer à combattre, les places du Comiskey Ball Park s'étant vendues jusqu'à 6000£ au marché noir. C'est avec un bandage de la cheville à l'aine qu'Hackenschmidt pénétra sur le ring. Gotch avait prétendu lui-même être blessé au cou afin qu'on ne décommande pas. Il était apparemment convenu qu'il se coucherait au premier round afin de paraître plus méritant en l'emportant au deuxième, mais il profita des circonstances pour conclure les deux rounds par tombé. Bref, Hackenschmidt finit par renoncer, l'ère du catch et de la lutte professionnel avait commencé. Tout ce qu'Hackenschmidt obtint de l'arbitre -en menaçant de déclarer forfait-, fut qu'on arrêtât les paris avant le début du match, car il avait compris qu'il s'était fait berner.
Hackenschmidt avait d'autres atouts que ses muscles pour continuer à exister: parlant couramment en plus du russe, l'allemand, le français et l'anglais (et écrivant dans toutes ces langues) il entama une deuxième carrière d'écrivain, théorisant un système original en rupture avec les méthodes d'entraînement qu'il avait pratiquées durant sa jeunesse. Ses livres ultérieurs n'eurent pas grand succès. Ses théories furent peut-être influencées par les désillusions: on pourra en évaluer la portée en lisant cet article . Hackenschmidt pensait qu'aucune influence ou conseil extérieur ne pouvait permettre d'atteindre la plénitude et que toute forme de développement harmonieux provenait d'une nécessité intérieure. Ainsi il condamne les "machines" et tout ce qui n'est pas naturel dans l'entraînement. Au nombre de ces artifices il place la mémoire (enfin deux des trois mémoires qu'il distingue) en ce qu'elle ne tient pas compte de l'évolution du corps, et prône la libération par la force vitale de l'oubli... 

Ses réflexions lui ont permis de continuer occasionnellement à pratiquer, comme ses successeurs une forme de lutte professionnelle proche du catch, et on peut à travers le legs photographique, beaucoup moins diffusé des années 40 et 50, le regarder sereinement prendre de l'âge:

Ci-dessous en 1949 avec Bothner (Hack est à droite)
La vie personnelle d'Hackenschmidt demeure assez mystérieuse. Hackenschmidt est mort en 1968, sans descendance bien qu'il ait épousé une française, Rachel, de vingt ans sa cadette; s'agissait-il d'une histoire d'amour? impossible de le savoir, ni d'après mes renseignements actuels la date de ce mariage. En 1939, Hackenschmidt est devenu français, il a dû attendre 1951 avant d'acquérir la nationalité britannique, après quoi il est parti vivre en Angleterre avec sa femme 
Rachel Hackenschmidt a donné à l'université du Texas dans les années 80 le Scrapbook de son mari, 640 pages de coupures de presse qu'on peut consulter en ligne
http://www.starkcenter.org/blog/2011/07/we-give-you%E2%80%A6the-hackenschmidt-scrapbook/

Comme nombre de ses pairs, Hackenschmidt a suscité bon nombre de fantasmes: on raconte qu'il impressionna si fortement le roi des Samoas qu'il reçut un titre royal et quelques épouses, offre qu'il déclina. Dans ses écrits Hackenschmidt ne parle guère de sexualité que pour en condamner la pratique, comme nuisible à l'entraînement, chez les jeunes homme immatures. Mais de quelle forme de sexualité s'agit-il? la lutte corps à corps ne constitue-t-elle pâs pour les plus passionnés un remplacement à toute forme de pratique sexuelle, dont dérive -et il me semble l'avoir vu chez beaucoup de lutteurs- un plaisir beaucoup plus intense que le plaisir sexuel, même si les apparences ne se manifestent par aucun signe extérieur attendu.
Certains vous diront que durant ses années parisiennes Hackenschmidt donna des spectacles plus privés que de simples combats de lutte, mais il ne semble pas qu'il en ait éprouvé la nécessité financière même si la pratique était courante. On cite souvent cette réflexion de Rigoulot "Demandez à D***, moi je ne fais pas les hommes!" D'autres affirment avoir vu des séries de photographies beaucoup plus déshabillées que celles qu'on connaît, mais si de telles photos existaient elles auraient sans doute fini par échapper aux plus égoïstes des collectionneurs comme il arrive qu'on en voit de Sandow (si tant est que ce ne soient pas des fakes). Contrairement aux modèles d'atelier, les sportifs de la belle époque n'ont jamais donné dans le nu frontal. Quelques unes des moins formelles des photos d'Hackenschmidt peuvent faire rêver; au moins  aurait-on aimé être le photographe: